Dans le Val de Marne, environ 13 000 dossiers de régularisation ont été déposés, dont 2 500 par le Collectif départemental qui regroupe des représentants des sans-papiers et des associations. Nous avons tissé des liens particuliers avec les camarades du Foyer dIvry-sur-Seine, dans un esprit de soutien fraternel, mais aussi avec la conscience que leur lutte est avant tout celle de la frange la plus exploitée et la plus précarisée de la classe ouvrière. Cest donc avec plaisir que nous collaborons aux initiatives du Comité autonome des sans-papiers du Foyer. Ils ont été récemment les invités de l'émission " Pas de quartiers " sur Radio libertaire.
M.L. : On parle beaucoup du problème des sans-papiers, cest un débat dans la société française, mais quotidiennement quest-ce que ça veut dire être sans-papiers, comment vit-on sans papiers ?
S. : La vie est très dure pour nous, de rester sans papiers, sans ressources, du jour au lendemain on ne sait pas ce quon va devenir. Rester sans papiers, cest la misère. On est dans une misère vraiment incroyable. Quand on na pas de papiers, on ne peut rien faire dans cette vie. Il faut avoir des papiers pour pouvoir travailler, avoir un logement. Sans papiers tu ne peux pas avoir certains droits en France. On est là, on veut sintégrer dans la société française, mais cest impossible sans papiers.
Il y a des gens qui sont ici depuis dix ans, quinze ans qui nont pas de papiers. Dans certains pays, on te donne des papiers au bout de quelques années. Nous on veut avoir des papiers pour avoir les mêmes droits que les autres. Nous sommes là pour travailler et pour vivre comme les autres.
Au foyer, la plupart des demandes de régularisations sont rejetées, quatre sur cinq environ. On nous reproche de ne pas avoir sept ans de présence en France, de ne pas payer dimpôts, de ne pas avoir dactivité salariée. On demande à un clandestin de fournir des bulletins de salaire, de payer des impôts Cest vraiment inadmissible !
Certains travaillent avec des fausses cartes, et on leur retient toutes les cotisations maladie, chômage, vieillesse, mais on ne peut jamais toucher les prestations. Ceux-là présentent des fiches de paie, des certificats de travail, et la préfecture trouve des prétexte pour les refuser. Moi, ça me dégoûte. Quon rentre dans les critères ou pas, on se fait rejeter.
Les patrons trouvent leur intérêt à embaucher des clandestins. Celui qui na pas de papiers ne peut se plaindre nulle part, ni à la police, ni aux syndicats. Tu prends ce quils te donnent. Tu es obligé de faire ce boulot pour ten sortir, envoyer un peu dargent au pays On dit que nous sommes des célibataires ; en France, cest vrai, mais nous avons notre famille au pays, qui compte sur nous, femme et enfants. On ne peut pas les emmener ici, pour leur faire partager notre misère. On na pas la possibilité de payer des loyers ailleurs quau foyer. Ils disent que nous sommes célibataires sans charges, mais cest faux. On est venu pour chercher du travail, pour nourrir nos familles. Si on avait les moyens, on resterait chez nous.
Nous, on vit lenfer ici, il faut le dire. Lenfer parce que nous navons aucun droit. Pas le droit de circuler librement, pas de sécurité sociale, pas dallocations familiales. Même pour certains achats importants, on te demande des papiers. La vie est très dure.
On nous enchaîne pour nous mettre dans les charters, on nous traite comme des chiens. Jai vu des gens arrêtés dans le train, enchaînés ; vraiment, cest honteux.
Rester clandestinement, ce nest pas bon. On se bat pour avoir des papiers, on se bat pour nos droits aussi. Moi je travaille depuis quatorze ans en France, je lai prouvé, et on me dit que je nai pas sept ans de présence. Je trouve ça incroyable, ils nont même pas étudié les dossiers ! Je suis arrivé en France en 1983, avec un tampon dentrée sur mon passeport. On me dit que je nai pas de visa, alors qu'à cette époque, il y avait une convention entre la France et le Mali, on navait pas besoin de ce visa. Cest Chirac qui la instauré en 1986. Tout ça cest des conneries, jai un tampon dentrée, je ne suis pas rentré en fraude ! Cette circulaire, ce nest pas pour régulariser les clandestins, cest pour les identifier, les localiser, les compter Les préfets font comme ils veulent, la circulaire leur laisse les mains libres Pour moi, cest une régularisation bidon.
M.L. : Pour que ce mouvement aboutisse un jour, et pour quil y ait une régularisation pour tous, il faut quil y ait un mouvement assez large dans la société, tant parmi les Français que parmi les immigrés.
P. : Nous ne sentons pas tellement la solidarité, même si il y a des gens qui sont derrière nous, qui nous aident. Ici, à Ivry, on a des associations qui nous soutiennent, on a fait une réunion publique avec des gens de la mairie. Pour linstant, nous attendons. Ils disent quils vont nous soutenir, mais quand tu veux soutenir quelquun, cest dans les faits, pas seulement dans les mots. Nous trouvons quau niveau du Val-de-Marne, ce nest pas comme avant.
Les syndicats, les associations sont moins mobilisés. Quand tu veux soutenir quelquun, il ne faut pas être entre le marteau et lenclume. Quand tu veux soutenir le gouvernement, soutiens le gouvernement. Si tu veux soutenir les sans-papiers, il faut les soutenir, sans arrière-pensées. Au Collectif départemental, ils veulent soutenir le gouvernement et les sans-papiers en même temps. ça ne peut pas marcher. Cest avant tout à nous de nous mobiliser.
Le soutien des élus locaux, cest de la politique, on sait ce quil en est. Nous avons fait beaucoup defforts, mais ce nest que le début. Nous ferons tout pour faire reculer le gouvernement socialiste. Le Parti socialiste est venu au pouvoir, et il nous a trahi. Sous la droite, Jospin avait manifesté à nos côtés. Aujourd'hui, il est arrivé au pouvoir, et il a trahi les immigrés.
Il a trouvé le palais du Premier ministre, il est tranquille dans son fauteuil. Nous lui disons quil a trahi le monde entier aussi. Le problème de limmigration, ce nest pas que la France qui est concerné. Nous avons été colonisés par les Français et aujourd'hui ils ne veulent pas nous recevoir. Cest une honte.
Notre but, notre combat, cest pour quon régularise tous les sans-papiers qui sont là. Pas seulement à Ivry, je veux la régularisation de tout le monde. Nous demandons aussi la libération des détenus pour séjour irrégulier et la fermeture des centres de rétention.
Ce sont ceux de Saint-Bernard qui ont commencé la lutte, maintenant on y est tous. Avant, on n'était pas organisé comme maintenant. On était un peu dispersé, mais maintenant, nous nous sommes regroupés pour lutter ensemble. Nous demandons à nos soutiens d'être à nos côtés sans faillir, et sans arrière-pensées. Notre combat, cest un seul combat, lutter pour tous. On va lutter jusquau bout, on ne sarrête pas. On ne veut pas que cette chance nous échappe.
On veut une solidarité pour que tous soient égaux dans la société française. On veut vivre comme les citoyens français.