La Communauté économique anarchiste est une des composantes du milieu libertaire de Gand, aux côtés des squats, du Collectif anarchiste (un groupe d'étudiants) et de lA.B.C.-Gent, une librairie/office de distribution de publications
Dès l'été 1992, à sa fondation, le projet de lAnarchist Economic Community (A.E.C.) était de fournir une alternative concrète, même à une échelle modeste, à l'énorme et monstrueuse Communauté économique européenne. Parallèlement à laction directe, à la collecte et à l'échange dinformations, nous pensions que les libertaires se devaient dintroduire dans leurs pratiques quotidiennes les idées quils défendent (y compris sur le terrain économique). Inutile donc dattendre un fantasmatique grand soir, la révolution se joue ici et maintenant.
Dès lorigine, lA.E.C. se voulait une expérience de vie où nous voulions travailler ensemble, nous réapproprier le pouvoir sur nos existences en cassant les barrières artificielles entre sphères économique, politique et privée
En pratique, cela sest traduit par la constitution dun réseau de groupes de travail, organisés selon des principes anarchistes fédéralistes (absence de hiérarchie, valorisation de lautonomie autant que de laide mutuelle), ayant tous pour objectif commun d'uvrer à l'épanouissement dune communauté autogérée, socialement et écologiquement saine.
Les groupes de travail sont les suivants : un collectif jardinage (un grand potager urbain produit des légumes qui, quand ils ne sont pas mangés par les lapins, sont distribués) ; un collectif alimentaire (lachat collectif de nourriture de qualité permet de faire baisser les prix) ; une cuisine mobile (support logistique à des groupes daction pendant des campagnes dagitation ou des grèves) ; un collectif de conditionnement daliments (production de marmelade et de vin à partir de fruits) ; une cuisine populaire (repas végétarien une fois par semaine suivi de rencontres conviviales au bar). Dautres projets ont été imaginés, mais nont jamais vraiment démarré : des initiatives de co-voiturage ou de récupération de vêtements par exemple
Les trois premières années (92-95), la Communauté économique anarchiste sest relativement bien développée. Malgré les hauts et les bas propres à ce genre dinitiative, nous avons loué ensemble une maison et nous y avons installé notre cuisine collective.
L'énergie du projet a attiré beaucoup de monde et la maison est devenue un endroit de rencontres et de débats où dautres actions pouvaient voir le jour Dans le sillage des repas hebdomadaires, un groupe de femmes sest constitué, ce qui à induit la mise sur pied dun groupe d'hommes. Dautres personnes, intéressées par lanarcho-syndicalisme ont réfléchi à la création dune section locale de la Confédération autonome des travailleurs (C.A.T., l'équivalent en Belgique de la C.N.T.), dautres encore ont constitué un groupe de soutien aux réfugiés. Durant cette période, nous avons également établi des contacts internationaux (notamment grâce à Internet, à lassistance aux réfugiés, à la mobilité accrue des gens de la maison ). Ces évolutions, ainsi que les discussions et critiques permanentes, nous ont obligé à repenser les finalités et les stratégies du projet. Dès le début, certains dentre nous avaient des doutes sur la possibilité de réaliser notre objectif initial. Elles et ils pensaient que nous avions trop dillusions sur la réalisation dune véritable autarcie économique.
Comment être réellement indépendants de l'économie capitaliste omniprésente ? Comment sautogérer sans faire de concessions au système et aux valeurs capitalistes ? Devions-nous, par exemple, payer certains volontaires, pour quils ne dépendent plus de laide de l'État ? Qui, comment, et sur quelles bases les payer ? Quelle serait la relation de ces salariés avec le reste du groupe ? Comment prendre en compte notre opposition à des salaires de misère ? Bref, les risques de récupération étaient toujours présents, et nous ne voulions pas finir dans le secteur alternatif des écolo-capitalistes !
En pratique, la stratégie de l'étranglement - considérer lA.E.C. comme un nud dans le développement dun réseau qui étoufferait un jour l'économie capitaliste - était trop idéaliste. De toute façon, quelle est lutilité dune communauté économique indépendante en tant que telle ? LA.E.C. ne risquait-elle pas de devenir un îlot dans une mer de misère ? Abandonner une stratégie de confrontation offensive, ne serait-ce pas, en fait, une attitude de repli face à la dure réalité de lexploitation, de laccroissement de la pauvreté, du racisme, de la répression ? Une telle initiative ne nous menait-elle pas à une dépolitisation, plutôt qu'à une radicalisation ? Enfin, ce projet n'était-il pas que le reflet des origines, valeurs et attitudes bourgeoises de plusieurs dentre nous, et ne devrions nous pas nous en détacher ?
En nous posant toutes ces questions, nous avons, en quelque sorte aussi, fourni des réponses qui s'élaboraient à partir de nos propres pratiques. Les différents collectifs qui se sont constitués aux marges de lA.E.C. - sans doute parce quils ny trouvaient pas leur place en son sein - n'étaient, ni plus ni moins, que lexpression de ces critiques. En tant que groupe, il nous fallait en prendre conscience.
Nous avons également ressenti dans ces débats la nécessité de présenter un profil plus transparent afin de simplifier nos contacts avec les autres groupes, notamment étrangers. Cest à ce moment que nous avons décidé de changer le nom de notre groupe, la Communauté économique anarchiste devenait le Centre anarchiste. Ce nom plus simple fut choisi pour la simple raison quil reflétait mieux qui nous étions et ce que nous voulions.
Cette période dintenses discussions nous a permis de mieux affirmer ce que nous avions en commun : notre adhésion à lanarchisme en tant que critique et alternative viable à la société existante. Sans occulter les différences qui existent toujours entre nous, nous ne voulons plus quelles nous divisent. Au contraire, le respect des différences étant, pour nous, une valeur centrale de lanarchisme (ainsi que dans la vie en général), nous nous devons de rendre ces différences explicites, den discuter et de les surmonter. Concrètement, cela signifiait que nous devions avoir conscience de ces contradictions comme des interactions complexes qui existent dans la société. Selon nous, lanarchisme a toujours essayé de saisir cette complexité, cest autant une de ses forces quune de ses faiblesses
Bien qu'historiquement lanarchisme plante ses racines au XIXe siècle, dans les luttes de la classe ouvrière vers un idéal socialiste, et que ses plus grands succès et défaites aient eu lieu dans le mouvement anarcho-syndicaliste, notre courant de pensée sest aussi construit dans la critique dautres rapports de domination que ceux du travail et du capital ; par exemple, les relations homme-femme, enfant-adulte, noir-blanc (cette dernière seulement récemment de manière significative)
Nous avons conscience que mis comme cela sur papier, cela paraît assez abstrait, nous espérons développer ces points de manière plus systématique dans un prochain texte. Ajoutons seulement quil ne sagit pas seulement de lancer un simple appel à la tolérance, nous sommes tous conscients des aspects condescendants et répressifs de " la tolérance ", ainsi que de " lidéalisme " qui laccompagne. Ce qui compte pour nous, cest de ne pas nous diviser sur des pétitions de principes. Nous avons vu trop dexemples de sectarisme, de fragmentations sans fin, de scissions menant à la disparition des groupes Nous voulons, au contraire, mettre en permanence laccent sur ce qui nous est commun afin de nous réapproprier notre identité collective en nous plaçant dans un contexte historique. Tout ceci sans perdre de vue notre objectif, faire de lanarchisme une force cohérente et de synthèse qui soit en mesure de peser sur la réalité.
Aujourd'hui, le Centre anarchiste se veut une organisation qui incarne lidée de lunité dans la différence. Pour réaliser cet objectif, nous nous sommes organisés en créant un secrétariat, non pas un bureau centralisateur, mais un comité afin de fournir le support logistique indispensable et de renforcer et d'étendre nos relations avec lextérieur.
LA.E.C. dorigine na pas disparu en tant que telle, mais sest intégré dans la fédération locale de groupes quest de fait le Centre anarchiste. Il reste la base économique sur laquelle nous pouvons construire des actions politiques autonomes. Le Centre anarchiste a donc rassemblé les différents collectifs de lA.E.C. (dont le groupe de soutien aux réfugiés et les autres collectifs de discussion).