Film arraché à une industrie moribonde, lindustrie cinématographique algérienne, monopole d'État aux caisses vides, LArche du Désert sort à Paris le 28 janvier envers et contre tous. Depuis " Youssef " qui racontait le destin dun " frère arrivé en retard " pour la vraie indépendance de lAlgérie, Mohamed Chouikh a intégré une certaine fatalité dans sa manière de réaliser et de produire ses films. Prêt à investir sa dernière chemise, il se dit " Plus pauvre que jamais, mais plus riche dun film. "
En gestation depuis " Youssef " qui dune façon prémonitoire mettait en scène lassassinat de Boudiaf, LArche du Désert existe grâce à lobstination de Chouikh et grâce à lamitié fidèle de son producteur associé (Klaus Gerke, de K-Films). Il a réalisé le film le moins cher de lannée. Mais fièrement, il affirme : " jai payé mes acteurs et mes figurants être payé signifie pour eux manger tous les jours et faire manger la famille. " Mais Chouikh ne sest pas payé, le scénariste, metteur en scène, producteur et réalisateur Chouikh nest pas payé, ni son jeune fils qui va dire le mot de la fin dans ce film beau comme un conte de 1001 nuits. Le plus important est peut-être que ce film existe, quil ne tombe jamais dans l'évocation naturaliste et pédagogique. Cest une uvre de beauté et de clarté, dont la phrase mise en exergue " Chaque fois que le temps a fait croître un bâton, l'homme a mis une lance à son extrémité " de El Moutanabi, donne à réfléchir, tout comme les derniers mots du film " Les adultes sont devenus fous ! "
Lintrigue est une intrigue prétexte. Un combat darrière-garde, qui occupe des gens, rivés à leurs problème de clans et d'honneur. Arrive un malheur : un garçon désire approcher une fille Dans le sud algérien, cest une catastrophe qui entraîne les habitants dune paisible oasis dans les affres de luttes tribales et de massacres sans fin, alors que lAlgérie se débat dans une spirale de la violence réelle sans pitié. Nest-ce pas candide, en effet, dimaginer cette histoire alors que le réel du meurtre de masse atteint lAlgérie de plein fouet ?
Monde libertaire : Comment vivez-vous cette horreur quotidienne en Algérie ?
Mohamed Chouikh : Nous sommes habitués. Cest dans les journaux, quotidiennement. La télévision ne montre rien, cest ainsi. Cest devenu une règle. Nous en avions assez de voir des horreurs tous les jours. C'était de la folie, une erreur monumentale de la télévision algérienne, une erreur tactique. Les atrocités devenaient ainsi un spectacle, un spectacle quotidien. Par ce média qui pénètre dans tous les foyers, nous avions notre spectacle quotidien des horreurs. Ce sont les journaux, maintenant qui nous informent. On est confronté à une surdose dinformations.
M.L. : Jadmire infiniment la manière dont ton film montre laprès-massacre, justement en ne montrant rien, mais en suggérant lampleur du massacre et le très grand nombre de morts.
M.C. : On attend probablement dun réalisateur algérien quil se vautre dans l'hémoglobine. Je ne voulais en aucun cas en faire mon fond de commerce. Dautant plus que je lai dénoncé dans " Youssef ". Jai essayé de suggérer, à travers une métaphore, ce qui est difficile de dire. Jespère que les gens se reconnaissent et trouvent un élément apaisant dans mon film.
M.L. : Cest la première fois que tu tournes dans le Sud ?
M.C. : Oui, pour moi, c'était une découverte incroyable. Je voulais aussi travailler sur les différences des couleurs de peau. Mais le soleil a anéanti tous mes efforts. à la fin du tournage, nous étions tous noirs. Le film est donc tourné entièrement en décors naturels. Je voulais obtenir un effet naturel, pas du tout créer une ambiance, et surtout ne pas faire un film en costumes. Nos habits, je veux dire, tous les habits, sont les habits des gens, distribués ou accordés en fonction des couleurs. Nous avons voulu éviter leffet cher au cinéma arabe sans moyens. Parmi une centaine de figurants, on reconnaît tout de suite lacteur. Cest lui qui porte l'habit neuf, propre, repassé. Toutes les couleurs, les drapeaux (les fanions) sont finalement des objets fétichisés par les gens. Ces fichus, on les met sur la tête, on danse avec, on les met autour des hanches, etc. Dans mon film, ils deviennent, par leur couleur, les attributs des deux clans qui sopposent.
M.L. : Le seul objet " étranger " est donc lArche
M.C. : En effet, cest le seul objet que jai fait construire. Jai apporté des dessins et je lai fait construire sur place. Jai essayé de rester au plus près de mon histoire. Le désert, cette partie de lAlgérie est dune telle beauté que je ne voulais surtout pas tomber dans le " beau ", dans le coucher de soleil " beau à pleurer ", etc. Je voulais modestement raconter mon histoire, montrer des systèmes dirrigation deau qui sont dune ingéniosité rare et dont tous les habitants de loasis profitent sans exception. Je voulais montrer quelle désolation signifie cette lutte intestine sur ce plan précis, dans un système où la distribution deau est capitale pour la population, pour la survie de loasis, dans la lutte contre lavancée du désert.