Leffet de surprise était total vendredi dernier à Lyon lorsque les radios ont annoncé que le Conseil d'État annulait la délibération prise le 19 juillet 1991 par la C.O.U.R.L.Y. (Communauté urbaine de Lyon) à propos de la concession de lautoroute urbaine T.E.O. (Trans Est Ouest) aux trusts Bouygues et Dumez. Dailleurs ce nest pas tant la décision elle-même qui a surpris, mais le fait que le jugement ait été rendu de suite et non mis en délibéré.
Cest un fait assez rare, qui ne manque pas d'être interprété comme mettant en difficulté la droite, alors que le scrutin régional sannonce difficile pour la liste conduite par Charles Millon, président sortant.
Cest aussi un sérieux coup de pouce donné à Étienne Tête, élu des Verts au Conseil régional, contesté par les militants de base de la région et dont la présence sur les listes régionales de la gauche plurielle est due à une forte pression des instances nationales du parti.
En effet, cest Étienne Tête qui a engagé la procédure dannulation devant le Conseil d'État et il en recueille aujourd'hui tous les bénéfices. Cest dans la logique des choses.
Sur le fond, lannulation repose sur le fait que la C.O.U.R.L.Y. na pas engagé un appel doffre international pour la passation du marché de concession, conformément à la directive européenne du 18 juillet 1989. Cest sans doute un argument solide, mais il est difficile de croire quil aurait pesé lourd si T.E.O. s'était révélé une juteuse affaire financière. Or il est aujourd'hui admis par tous que ce périphérique à péage est un fiasco.
Cest un fiasco parce que son tracé ne correspond en rien aux plus importants flux de déplacements de lagglomération (moins de 45 000 véhicules/jour potentiels sur cet axe) et que par conséquent le marché nexiste pas. Cela explique que le contrat de concession prévoyait de rabattre des flux de circulation sur cet autoroute alors quen toute logique il ny avait aucun intérêt à les faire passer par là, sauf que cela amenait de la clientèle. Et à 16 F le passage ça pouvait rapporter gros.
Rappelons tout de même que cette infrastructure a été financée par les collectivités publiques à hauteur de 52 %, soit 3,2 milliards de francs sur un budget total denviron 6 milliards. Encore quon ne sache pas vraiment la vérité tant le secret est bien gardé.
Mais ce qui a fait dérailler la machine à faire du fric cest la réaction spontanée de la population, qui dès la mise en service de T.E.O. a massivement boycotté louvrage.
Sous la pression populaire et les embouteillages monstres provoqués par la canalisation des automobiles vers T.E.O., Raymond Barre a du remettre à 2 fois 2 voies des routes, rouvrir des passages fermés pour que se rétablissent les parcours habituellement empruntés.
Du coup T.E.O. a été vidé, et le trafic quotidien y est estimé à 10 à 12 mille véhicules/jour, soit 2,5 fois moins que ce quil faudrait pour quil atteigne son seuil de rentabilité. Et depuis juillet, ce boycott populaire ne sest jamais démenti. En ce sens la décision du Conseil d'État enlève peut-être une épine du pied de Bouygues en le libérant dun contrat où il risquait de perdre de largent.
Le " Collectif pour la gratuité et contre le racket " créé dès juillet dernier sappuie sur cette réalité de boycott pour légitimer son action. Les militants des groupes lyonnais de la F.A. sont investis depuis le début dans cette association qui a su mener un travail dinformation et dactions conséquent.
Plus de 600 000 tracts ont été distribués sur la voie publique, plusieurs milliers daffiches collées, une manifestation de plus de 6 000 personnes organisée, des débats publics dans différentes communes de lagglomération ont eu lieu et chaque lundi, matin et soir, des opérations péage gratuit menées sur le principal poste de péage.
Et cest certainement cette volonté de lever les barrières de péage qui a le plus contribué à maintenir la pression sur Raymond Barre et Bouygues. Les menaces et les intimidations sur les militants ont été nombreuses et systématiques, mais rien y à fait.
Cette capacité à relayer politiquement le boycott sest avéré essentielle. Le Conseil général et la C.O.U.R.L.Y. avaient un autre projet de périphérique à péage appelé T.O.P.
Se rendant compte quils ne pourraient pas désarmer lopposition au racket, ces deux collectivités publiques ont décidé de geler le projet et de revoir leur copie, alors que les terrains sont déjà acquis et que les travaux se préparaient activement. De fait, cest tout le schéma de circulation de lagglomération urbaine qui est à repenser.
Pour le moment nous savons que Barre est contre la gratuité, et quil va essayer de faire accepter un prix réduit sur T.E.O. sous prétexte quon ne peut augmenter les impôts.
Le 16 ou le 17 février un Conseil de C.O.U.R.L.Y. devrait se réunir pour définir une nouvelle stratégie commerciale. Cela nous laisse un peu de temps pour organiser une mobilisation suffisante afin de faire comprendre que ce que nous voulons, cest la gratuité tout de suite. Et cest bien ce que veulent massivement les Lyonnais.