Partout, l'éducation a toujours été une éducation de classe. Partout aujourd'hui cette éducation reflète de plus en plus les différences entre groupes ethniques (races). Seule lAfrique du Sud avait officialisé ce système. On ne se bornait pas à y séparer les manuels des intellectuels, en droit et non pas, comme ailleurs dans le monde, seulement en fait, on basait cette séparation sur lappartenance raciale.
Ce cloisonnement relevait, comme ailleurs, dune stratégie de domination. Aux travailleurs qualifiés, blancs, on réservait les fonctions dencadrement. Les Noirs devaient rester encadrés, enfermés. Il fallait empêcher quils ne rétablissent la maîtrise de leur espace (en lunifiant par la lutte nationale). Il fallait les maintenir, comme classe de producteurs sous-qualifiés et sous-payés, au service des Blancs. Une loi (le Bantu Education Act) a imposé aux Noirs une éducation qui les a enfermés dans une condition servile. Et une rébellion scolaire a mis le feu aux poudres à Soweto en 1976, relançant linsurrection qui devait renverser le régime 15 ans plus tard.
Pour défaire le système ségrégatif, le nouveau gouvernement doit donc supprimer les cloisonnements, et le système d'éducation qui les produit et les reproduit. Ce système est plus développé en Afrique du Sud quailleurs ; la réforme ne peut être que radicale. Cest sans doute la tentative la plus audacieuse jamais effectuée en vue de surmonter le stade de l'éducation de classe. La réforme reconnaît ce que sont les capacités réelles, plus importantes que les connaissances formelles ; laboutissement (" outcome ") du processus dacquisition prime sur son mode (formel, informel).
Mais une fois ce principe acquis, lidée même d'éducation apparaît sous un jour nouveau. On pourra laxer sur lacquisition des capacités réelles, plutôt que sur celle des connaissances formelles. Révolution copernicienne, qui bouleverse la pédagogie, la fonction des enseignants, leur statut, les instances et institutions éducatives Si ce sont les capacités réelles qui comptent, ce quil faut apprendre, ce ne sont plus des savoirs établis, toujours dépassables et souvent dépassés, mais comment produire des savoirs ; éduquer ne sera donc plus apprendre ce qui a déjà été appris, mais apprendre comment apprendre (learning how to learn). Or, la connaissance acquise servant traditionnellement à distinguer le maître de l'élève, lopposition entre enseignant et enseigné sestompe : on pourra désormais apprendre en enseignant (learning by teaching). Lenseignant, au lieu d'être le détenteur dun savoir, devient lanimateur dune communauté dont le but est de développer les capacités de ses membres, de générer des connaissances et promouvoir la créativité : moins un " savant " quun " chercheur ", comme les autres, mais plus expérimenté queux. En outre, il ny a aucune raison que ce processus sarrête à l'âge adulte : comme en fait on apprend tout au long de la vie, l'éducation pourra se poursuivre pendant toute la vie.
Le système d'éducation a donc du être réorganisé de fond en comble : enseignants recyclés, programmes entièrement repensés, redessinés, et introduits progressivement, etc.. Un des aspects les plus frappants est cependant la désinstitutionnalisation. On ne reconnaît plus la formation, mais les capacités, sans tenir compte de la manière dont elles ont été acquises : dans le travail et la vie pratique, dans une école, lors dun stage ou autre programme de formation Reste à les certifier. On a imaginé un système de commissions regroupant " tous les intéressés ": enseignants et administrateurs des écoles et universités, étatiques et libres, syndicalistes, patrons, etc., dont la constitution se poursuit actuellement (je nai pas encore de détails).
Cest une réforme quil faut suivre avec attention et en examiner les modes dapplication (pesanteurs bureaucratiques, priorités budgétaires, accueil des enseignés et formateurs ).