Le samedi 7 février, Maurice Lemoine était linvité de l'émission Chroniques syndicales sur Radio libertaire. Auteur de " Les 100 portes de lAmérique latine " (éd. lAtelier, 149 F). Ce fut loccasion de faire rapidement le tour de la situation politique et sociale en Amérique du Sud.
La situation en Amérique du Sud a énormément évolué ; on ne peut plus parler de lAmérique latine comme on en parlait dans les années 80. à l'heure actuelle il ny a plus de dictature, il y a des gouvernements démocratiques élus par des citoyens et une situation économique florissante (investissements directs en Amérique latine en 1996 : 31 milliards de dollars ; exportations : 250 milliards de dollars ; importations : 245 milliards de dollars ). On constate une régression de la pauvreté : entre 1990 et 1995 la pauvreté passe de 41 % à 39 % (dans les années 80, la pauvreté était passée de 35 % à 41 %). Évidemment, cest une régression par rapport à une augmentation !
Ce qui donne limage la plus réelle de lAmérique latine, cest que de 120 millions en 1980, le nombre de pauvres est passé à 160 millions en 1995 ! Donc, en réalité, il y a globalement une augmentation prodigieuse de la pauvreté, alors même que lon est, en ce moment, dans une période dite de " modernisation ".
LAmérique latine souffre en ce moment dun phénomène médiatique, car, comparés aux tragédies qui se déroulent dans des pays comme lex-Yougoslavie, le Rwanda, etc., les problèmes latino-américains paraissent finalement mineurs, bien quau Brésil, depuis 15 ans, 1800 syndicalistes et paysans aient été assassinés, mais cela nintéresse pas la presse
La presse économique européenne sintéresse à lAmérique latine, car depuis louverture néo-libérale, il y a un phénomène que lon connaît bien, qui est la privatisation, et lAmérique latine est en train d'être dépecée par les entreprises françaises, espagnoles et américaines !
En ce qui concerne la démocratie en Amérique latine, on a vu se succéder des gouvernements les plus divers, de la droite dure à la social-démocratie et on pourrait considérer que les choses se passent " normalement ", mais il faut voir qui gouverne réellement au-delà de cet habillage quest la démocratie Le pouvoir économique est aux mains de jeunes yuppies, bardés de diplômes, qui sont des monétaristes issus des universités américaines et qui sont tous des disciples plus ou moins proches de Milton Friedman, le gourou américain de lultralibéralisme
À propos de " dictature " et de " démocratie " : quand on rencontre des militants dAmérique centrale, qui pendant quasiment dix-quinze ans se sont battus contre des dictatures et qui au terme de leur lutte nont pas pris le pouvoir et nont pas instauré les régimes socialistes dont ils rêvaient au départ (au début des années 80), mais qui ont permis larrivée en Amérique centrale de la démocratie, tous saccordent à dire que " cest un progrès fantastique, parce quon a ôté le pouvoir à larmée, parce quon a rétabli dans ce pays un état de droit, et dans notre histoire cest un progrès ". En revanche, évidemment, ce quon peut dire cest " quest-ce quon a en face ? " Dans le marché : tout, hors du marché : rien ! Et au nom du marché, au nom dune théorie économique qui est en train de devenir totalitaire (puisquelle na plus dadversaire), on a la mise en place de ce que, moi, jappellerais des " démocratures ". Cest-à-dire que ces politiques économiques sont en train, sur le plan macro-économique, de satisfaire les marchés financiers, et en même temps elles approfondissent partout les inégalités sociales.
Au Pérou, 750 000 travailleurs perdent leur emploi (500 000 dans le public, 200 000 dans le privé) ; au Brésil, 9e puissance mondiale, 32 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, sur une population de 150 millions d'habitants Dans tous les pays, on a un déficit social terrible jusqu'à présent les analyses avaient fait ressortir que lon avait deux classes : les riches et les pauvres. Le grand changement de ces dernières années, cest lapparition dune classe de miséreux, dindigents : la classe des " sans ", sans-terre, sans-maison, sans-nourriture, sans-école et ça cest une fabrique de désespérés dont la seule économie, cest l'économie informelle ! Le seul secteur économique qui se développe vraiment en Amérique latine, cest cette économie informelle, cest-à-dire la débrouille Un certain nombre d'économistes se disent quaprès tout, cest bien. Mais ça veut dire quoi ? Pas de protection sociale, pas daccès à la santé, pas de retraite On ne peut pas sarrêter au fait quils se démerdent et quils survivent ! Évidemment, cela entraîne aussi l'émergence de linsécurité et de la délinquance (ce qui ne veut pas dire que parce quon est pauvre on devient un bandit !). La drogue, produite par les petits paysans qui nont pas dautre alternative, car les cours des cultures classiques sont en permanence en dents de scie, le " travail " des gosses, quon appelle les avions car ils font la liaison entre les dealers et les trafiquants De cette insécurité, on arrive au syndrome classique de la peur et on glisse dans un phénomène de " nettoyage social " : par exemple on recensait à Rio (Brésil), en 1990, 492 enfants assassinés, 23 homicides par jour, etc., et on voit larmée, petit à petit se " reconvertir " pour lutter contre le nouvel ennemi, qui est le pauvre !
Les pouvoirs civils, inquiets de la violence mais incapables de prendre des mesures structurelles, se tournent vers larmée en disant : " il faut contrôler ce chaos généralisé " et donc redonnent un rôle à larmée, la rééquipent et lui offrent un place politique de ce fait. Demain, pourquoi pas, dans le désarroi total, on pourrait voir des citoyens, désemparés, faire appel une nouvelle fois à larmée