Les anarchistes et léducation, cest assurément une vieille et même une très vieille histoire damour, de toujours et sans doute à toujours !
Comme dans toutes les histoires damour, le hasard - celui du coup de foudre, de livresse dun instant ou de la passion dun moment - a joué, joue encore et jouera sûrement toujours son rôle. Mais un petit rôle ! Car quand les histoires damour durent à ce point et traversent le temps et lhistoire au rythme endiablé dun tel corps à cur et dun tel cur à corps, elles relèvent généralement dautre chose que du seul hasard. Dune certaine logique, tout bonnement !
Le voudraient-ils, en effet, que les anarchistes ne pourraient éviter la rencontre avec léducation. Peut-être parce que leur démarche - profondément antiautoritaire - vise par « essence » à convaincre et sinscrit, de ce fait, dans un processus fondamentalement éducatif ? Peut-être également parce quils savent quun véritable changement social implique de changer de concert et les choses (les rapports de production, la structure de léconomie, linfrastructure politico-économique ) et les individu(e)s, tant il est vrai quun système social quel quil soit repose toujours sur un CONSENSUS. Un consensus authentique. Dadhésion consciente. Ou un consensus marqué au fer rouge de lALIÉNATION. Et que de ce point de vue, comme cest léducation (dans le cadre familial, scolaire et social) qui « conditionne » lindividu(e) et les individu(e)s à certains types de comportements plutôt quà dautres, cest peu dire quun révolutionnaire un tant soit peu cohérent peut difficilement se désintéresser (en théorie comme en pratique) de ce qui constitue le comment de laliénation et par contre-coup celui dune éventuelle désaliénation.
Ici, là ou ailleurs, on pense généralement que léducation ne concerne que les enfants et les adolescents et opère pour lessentiel dans le cadre de la famille.
Éduquer, en effet, cest façonner ou accompagner. Cest transmettre un certain nombre de modes de comportement. De valeurs. Et dans cette optique cest peu dire que les enfants constituent une cible idéale et que la famille est un espace de tout premier choix.
Les anarchistes quant à eux ont une vision plus large, plus globale et pour tout dire plus sociale de léducation.
Ils nhésitent pas à affirmer que la naissance, selon quelle se réalise brutalement (ordinairement) ou en douceur, constitue le premier temps éducatif. Ils condamnent dordinaire la famille patriarcale et son triangle des Bermudes dipien. Ils clament haut et fort que lécole, quil sagisse des crèches, des maternelles, des écoles primaires, secondaires, supérieures, techniques, confessionnelles, patronales, étatiques transmet, sous couvert dinstruction, un certain nombre de valeurs. Quelle fabrique dune manière industrielle un certain type de personnalité. Et ils ne sont pas sans savoir que lenvironnement social au sens large, quil sagisse de la télé, du quartier où on habite, du supermarché que lon fréquente, du milieu social où on évolue est un espace éducatif de toute première importance.
Bref, les anarchistes ne sont pas loin de penser que tout est éducation dans la vie dun individu.
Doù leur façon daborder (en termes de critiques ou de projets) léducation dune manière globale. Les yeux dans les yeux de tous les acteurs, de tous les espaces et de tous les temps éducatifs.
Mieux, ils osent dire que ce tout éducatif, parce quil est au cur du processus de reproduction de tout système social et sociétaire, constitue un enjeu stratégique majeur pour les dominants comme pour les dominés.
La société capitaliste dans laquelle nous évoluons aujourdhui est une société profondément divisée et hiérarchisée. Sy affrontent, en effet, des classes sociales, des groupes sociaux, des individus, des cultures, les sexes et même les différents temps de la vie.
LÉtat, cette institution qui est autant au service des dominants quà son propre service (certains vont jusquà qualifier cette institution de classe sociale) sest construit sur cette division de la société et, layant posée comme étant de toute éternité, sest donné pour mission de la gérer. Et il la gère à la mode bestiale via sa mainmise sur larmée, la police, le judiciaire comme à la mode cool via sa main mise sur le préscolaire, le scolaire, le postscolaire et léducatif.
Hasard de lhistoire ? Mon cul !
En 1860, nous dit Jean Foucambert dans son livre Lécole de Jules Ferry, un mythe qui a la vie dure, 87 % des ouvriers parisiens avaient appris à lire et à écrire par le biais des associations ouvrières.
En 1998, les associations ouvrières étant pour la plupart inféodées à létat et les services dinstruction létant complètement, il est aisé de constater combien cette gestion étatique de lécole a été profitable aux petites gens.
No comment !
Dans ces conditions, qui pourrait décemment sétonner de constater que dans ce type de société léducation qui y prévaut, quelles que soient les formes quelle peut prendre, va viser (explicitement ou implicitement) à préparer les enfants à une logique toute de divisions, de hiérarchies, dexclusions, dassistanats, de solitudes, dindividualisme, de loi du plus fort, de soumissions, de refoulements, de sublimations
Cest ainsi que les enfants qui dans la société vont être cantonnés dans le sous statut social de mineurs vont être la propriété de leurs parents et vont avoir comme champ didentification principal le petit cercle pyramidal de la famille patriarcale. Là ils vont commencer à découvrir lautorité et les rôles sociaux et sexués.
À lécole, le dressage va se poursuivre. Au motif de leur donner une instruction, on va commencer par les casser dans leur corps en les forçant à limmobilité pendant des heures carrées. Ensuite on va les initier à lobéissance au maître, au directeur, aux programmes On va leur expliquer que le monde est divisé en deux, avec ceux qui parlent comme Voltaire et ceux qui parlent comme tout le monde, ceux qui font de longues études et ceux qui font ce quils peuvent, ceux qui vont dans lenseignement général et ceux qui sont orientés dans lenseignement technique On va essayer de leur faire croire (ca marche de moins en moins) que sils redoublent defforts et dobéissance, ils ont une chance de faire un jour partie du bon camp
La télé, bien sûr, mais également leurs parents, leurs amis, le facteur et bien évidement le curé vont en rajouter trois louches et vont les éduquer à faire leur les valeurs dun système social qui va écrabouiller le plus grand nombre dentre eux.
Mettre des chaînes dans la tête des esclaves et de leur progéniture, tel est au bout du compte lobjectif dun tout éducatif à la mode capitaliste.
Plusieurs principes essentiels, plusieurs idées forces sont à même de fonder une éducation libertaire, qui, comme la société libertaire, reste à construire. Énonçons en quelques uns.
Bonheur : la vie, ce fragile entre parenthèse entre le néant et le néant, représente une chance tellement extraordinaire que tout, dans toute circonstance, doit toujours être fait pour contribuer à ce quelle se déroule sous les meilleures auspices. De ce point de vue on doit affirmer que le bonheur de lindividu et des individus constitue lobjectif central de la vie humaine et que léducation doit viser clairement à offrir aux enfants les moyens de ce bonheur.
Accompagnement : lenfant nétant naturellement ni bon ni mauvais et ayant besoin, pour se construire, de repères de tous ordres, doit être accompagné sur le chemin de sa vie. Entre lautoritarisme qui impose à toute force un modèle de comportement et didentification, et un laisser-faire spontanéiste qui confine à labandon, laccompagnement tout de suggestions et de création de situations constitue un moyen terme éducatif qui relève quasiment du bon sens.
Liberté, égalité, autogestion, coopération, citoyenneté : si le bonheur est lobjectif central de la vie, il est cependant plusieurs manières de le concevoir. Les libertaires, quant à eux, ne conçoivent le bonheur de chacun que comme partie prenante du bonheur de tous, et dans cette optique ils se revendiquent de certaines valeurs dont ils estiment quelles sont les mieux à même de favoriser léclosion du bonheur de chacun et de tous. Ces valeurs se retrouvent au cur dun accompagnement éducatif visant à éduquer à la liberté, légalité, lautogestion, la coopération, la citoyenneté par la pratique et lapprentissage de la liberté, de légalité, de lautogestion, de la coopération, de la citoyenneté
Autonomie : si lenfance est une étape de la vie qui précède lâge adulte, cela ne signifie pas pour autant quil faille considérer lenfant comme un petit adulte. Ses aptitudes au jeu, aux rêves, à lart doivent donc être respectées car elles sont au cur du processus permettant lépanouissement de toute personnalité.
Éducation intégrale : lindividu étant tout à la fois un corps, un esprit, des mains et un être social, léducation ne doit négliger aucun de ces quatre aspects du tout humain.
Statut social de lenfance : pour donner sens, corps et cohérence à un accompagnement éducatif vers et par la liberté, légalité, lautogestion, la coopération, la citoyenneté il savère nécessaire de permettre (et de leur en donner les moyens) aux enfants de participer à la vie de la cité et à lélaboration des lois qui régissent la cité. Hors de cette voie qui exclue la propriété parentale comme la propriété étatique de lenfance, point de salut. La liberté, légalité, lautogestion, la coopération, la citoyenneté ne se divisent pas. Elles sont ou elles ne sont pas.
Service social déducation : étant entendu que lanalphabétisme et la culture instinctuelle nont jamais été les agents de quelque progressisme social que ce soit, il importe de pouvoir offrir à chacun la chance de linstruction. Dune instruction sapparentant largement à la culture, car sans enjeu professionnel ou économique aucun. Dune instruction ne visant à rien dautre quà permettre à chacun dapprendre à apprendre, dapprendre à sapprendre, de construire des et ses savoirs, de se construire Dune instruction débarrassée de langoisse du niveau parce que personnalisée et auto-évaluée. Dune instruction reposant sur des contrats et non des notes. Dune instruction peuplée dune myriade dinstructeurs car favorisant lentraide entre les enfants et donc leurs capacités à sinstruire entre eux. Dune instruction qui, pour nêtre pas vécue comme oppressante ou inutile, gagnerait à se dérouler dans un contexte de république éducative fonctionnant à et par la liberté, légalité, lautogestion, la coopération, la citoyenneté et à être mise en uvre par des enseignants formés à léducation (ou linverse) Toutes choses fondant un véritable service social déducation, laïque, gratuit, doté de larges moyens et fonctionnant à légalité des chances.
Révolution sociale : ces quelques grands principes susceptibles dinitier une approche libertaire de léducation nont pas la moindre chance de pouvoir se matérialiser massivement dans le contexte sociétaire actuel qui est celui de lexploitation et de loppression de lêtre humain par lêtre humain. De ce point de vue, le combat pour une éducation libertaire passe clairement par celui pour une société libertaire. Cen est simplement lun des éléments constitutifs.