Lun des pères de la pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, est mort le 19 février. Critiquant lécole comme disciplinaire et stérile, il avait très vite décrit lidéal de notre belle école républicaine, encore rêvé par lactuel mammouth du ministère de lÉducation nationale : « [ ] ne suffit-il pas de former des techniciens apolitiques, adaptables et réadaptables à merci, de vaillants consommateurs dautos, dOmo, de mots et de culture de masse ? Il sagit toujours de former des hommes spécifiés, des hommes pour »
La pédagogie institutionnelle est difficilement dissociable de la psychothérapie institutionnelle, dans laquelle sest également investi Jean Oury, psychiatre, frère de Fernand. Elles se sont toutes deux ouvertes aux apports de la psychanalyse (E.F.P.), aux nouvelles théories psychiatriques (que certain(e)s qualifieront de libertaires, même si Tosquelles ou Guattari nétaient pas anarchistes) ; mais la pédagogie institutionnelle, influencée par la pensée « marxiste critique », était dabord issue des travaux de Célestin Freinet.
La rencontre, en 1949, de Freinet et de Fernand Oury, fut un peu celle du rat des champs et du rat des villes Militant communiste de base (même si son parti finira par trouver ses théories un peu trop révolutionnaires ), « artisan pédagogue », persuadé de la prédominance du matériel et du savoir-faire dans les relations denseignement, Freinet na dautres soucis, quant aux relations intergroupe, au sein de la classe, que celui dinstaurer un climat de « camaraderie »
Enseignant spécialisé, Fernand Oury (qui adhère à Il.C.E.M.* dès 1949) va rester pendant plusieurs années un simple et « fidèle » instituteur « freinetique » Mais si les partisans de la pédagogie institutionnelle sont daccord avec Freinet pour dire que « Lécole actuelle est fille et servente du capitalisme », ils veulent enrichir leur approche des relations de pouvoir et dautorité au sein de la classe, notamment en prenant en compte les enjeux qui ne sont pas revendiqués, parce que souvent inconscients : « Reconnu ou nié, linconscient est dans la classe et parle Mieux vaut lentendre que le subir ». Cette réflexion ne portait pas simplement sur le groupe-classe : rapports « maître-élève », élèves-élèves, mais aussi sur la société elle-même, dont cette classe fait partie (pathoplastie, « influence des entours » selon Jean Oury).
Après avoir été « exclu » de lI.C.E.M, (Freinet voyait dun très mauvais il ceux qui, avec Fonvieille, estimait que les techniques Freinet étaient un moyen dinterroger linstitution, et non un idéal à institutionnaliser), Fernand Oury sinvestira donc dans une pédagogie institutionnelle qui a bien cerné de sérieuses limites au fonctionnement « paritaire » des « classes Freinet » : on peut ainsi citer sa réflexion sur les conseils de classes, où peut régner la peur de « mal penser ». On sait ce quil faut dire et ce quil ne faut pas dire ! Il sinterrogera également sur la possible incarnation, dans ces classes modernes, dun « maitre-copain », qui demande à « se faire aimer »
De manière générale, « [ ] ce qui rapproche psychothérapie et pédagogie institutionnelle, cest dabord leur position de contestation des structures concentrationnaires et hiérarchisées », cest pourquoi le journal imprimé, le conseil délèves, le partage des tâches et de responsabilités sont considérés comme des médiations, à savoir ce qui relie, sépare, interdit les affrontements sans recours, permet les actions sur quelque chose. On essaye dès lors déviter les « faces à faces meurtriers » (toi ou moi), pour retrouver des « corps à corps émouvants » (toi et moi).
Freinet sétait toujours méfié des théoriciens de léducation et si, on la vu, ce parti pris nétait pas sans mauvaise foi, il avait, aussi, bien su anticiper le possible côté « laboratoire permanent » des classes où lon peut facilement se sentir en perpétuelle évaluation ou même auto-évaluation Dans des classes se revendiquant de cette pédagogie, acquis scolaires et comportements personnels sont rituellement et quotidiennement commentés par le groupe. On cherche souvent à équilibrer les rapports de pouvoir au sein du groupe, mais lindividu na pas dissue pour échapper au regard, au jugement du groupe, puisque tout conflit, toute déviance se retrouve toujours pris en charge par le collectif
Une école qui ne sera pas au service de la société capitaliste, où lon saura prendre en compte linconscient, où les relations de pouvoir au sein du groupe seront « médiatisées », mais où on préservera lindividu(e) au maximum, du poids du collectif. Cest peut-être lécole à construire, le cauchemar dun Claude Allègre.
(1) A. Vasquez, F. Oury, Vers une Pédagogie institutionnelle. Maspero 1966
(2) E.F.P. (École Freudienne créée par Lacan)
(3) Pédagogue, créateur de lÉcole moderne, préconisant (et mettant en pratique) une « école du peuple », où les enfants ne sont plus de passifs « enseignés », mais des personnes à part entière, gérant leurs apprentissages et la vie quotidienne de leurs classes (conseils délèves, coopérative scolaire, apprentissages individualisés )