La revendication pour lextension du R.M.I. au moins de 26 ans a, depuis quelques années maintenant, fait son chemin On a logiquement retrouvé cette idée dès le début du mouvement des chômeurs, fin 1997 ; idée justifiée au nom de "lurgence"
Sans vouloir jouer les donneurs de leçons, mais au contraire dans lesprit damener des réflexions constructives au sein même du mouvement social, il ne nous est pas possible daccepter cet axe revendicatif sans sourciller.
Au premier abord, lidée dun revenu minimum garanti pour tous peut paraître sympathique, généreuse, et même une mesure absolument indispensable en regard de la situation sociale catastrophique de millions de jeunes sans ressources.
Mais allons-nous oublier que linstauration du R.M.I. a signifié une véritable institutionnalisation de la misère, et la définition en quelque sorte dun seuil " acceptable " de pauvreté ? Avec 2 000 F et quelques babioles (pour une personne seule), vous êtes censé survivre Alors, si lon peut toujours trouver des bonnes âmes pour penser tout haut : " cest mieux que rien ", nous ne pouvons nous résoudre à ces discours misérabilistes, à ce minimalisme !
À partir de la question du R.M.I. et des minima sociaux, une autre idée a largement repris du poil de la bête : celle de lallocation universelle.
On peut redéfinir brièvement le principe dune telle allocation : il sagit de garantir aux citoyens, non pas un travail et un salaire, mais un certain revenu (donc un minima), avec ou sans obligation dexercer une activité dutilité sociale (selon les interprétations).
Ceci dit, pour " senrichir et prospérer " - ou tout simplement sen sortir ! - les braves citoyens, désormais allocataires universels, devraient continuer à se vendre sur un marché du travail qui, entretemps, aura été libéré des rigidités passéistes (traduisez le code du travail et tout ce qui aujourd'hui protège encore un tant soit peu les salariés). Car voilà bien le cur du problème posé par le principe de lallocation universelle : en projetant de généraliser un minima, elle sintègre si bien aux vues ultra-libérales quon en vient à se demander si elle nest pas un passage obligé dans la restructuration actuelle de la machine capitaliste !
Pour expliquer cela autrement : imposer la flexibilité et la précarité dans tous les secteurs, à une époque où le niveau de production rend intolérable le fait de " mourir dans la misère ", incite la classe dominante à distribuer, en échange, le minimum vital.
Procéder à ce type de réforme lui conférerait une nouvelle et forte légitimité. Elle pourrait ainsi se féliciter davoir enfin " éradiqué la misère et lexclusion " et sautoriser toutes les restructurations et les déréglementations que la guerre économique exige !
En ne laissant plus exister quune sorte de pauvreté cadrée, contrôlée et acceptable, la bourgeoisie pourrait se débarrasser de tout lattirail institutionnel encombrant composé des multiples organismes de protection sociale. Les allocations familiales, les indemnisations chômage, les pensions de retraites, tout cela disparaîtrait, rendu inutile par lallocation universelle, revenu basique complété par des actes commerciaux et des placements boursiers
Ainsi, par un fantastique tour de passe-passe, la mise en uvre de lallocation universelle permettrait, au nom de la " fin du salariat ", de la raréfaction ou de la " fin du travail ", au nom de la " lutte contre lexclusion " et même au nom dune prétendue critique du salariat (voir les écrits dAndré Gorz récemment dans le journal Le Monde), l'éclosion dun système reposant sur les règles du plus ultra des ultra-libéralismes.
De la science-fiction ? Peut-être, mais il ne faut certainement pas sous-estimer combien lallocation universelle peut correspondre à une attente forte de la bourgeoisie, en laidant dans son double objectif de pacification sociale et de flexibilisation tous azimut des processus de production et d'échange.
La confusion créée et entretenue par des intellectuels comme André Gorz (le nouveau penseur attitré de la C.F.D.T. et du collaborationnisme de classe ?) ne résiste pas à lopposition dun projet sociétaire anticapitaliste et antiétatique. à aucun moment, les promoteurs de lallocation universelle (aux origines politiques diverses mais sinspirant majoritairement de l'humanisme bon teint et du catholicisme social), nexplicitent de propositions pour résoudre le problème des inégalités, et pour cause ! L'égalité économique et sociale, lautogestion, le fédéralisme, la réappropriation des moyens de production et de distribution, tout cela ne les intéresse pas. Pire encore, à leurs yeux, les inégalités font parties de la normalité du monde, et, à la seule idée quune révolution sociale puisse se déclencher, ils doivent redoubler d'énergie afin de trouver une réforme possible au capitalisme. Pour notre part, il faut être précis sur les objectifs et ne pas nous laisser piéger dans des revendications de cet acabit.
On connaît aussi depuis longtemps le fameux discours sur la société à deux vitesses : un discours qui tente dopposer les " exclus " aux " inclus ", cest-à-dire ce camp où se retrouveraient pêle-mêle les salariés ayant un emploi et leurs exploiteurs.
Devant de telles âneries, nous devons réagir par des propositions et des initiatives porteuses dunité entre tous les exploités et rétablir une analyse de lutte de classes. Nos efforts doivent tendre à fédérer les luttes des chômeurs et des salariés, les luttes antiracistes, antisexistes, etc.
À lidée dallocation universelle, comme à lidée dextension du R.M.I. à toutes les personnes de plus de 18 ans, nous devons répondre en redéfinissant des revendications et donc des dynamiques en concordance avec nos buts révolutionnaires. Pour être pratique, il semble beaucoup plus intéressant de se mobiliser en masse pour une refonte du système dindemnisation chômage que de se laisser embrouiller par les théories fumeuses du revenu minimum garanti. En exigeant que la bourgeoisie paye intégralement les salariés quelle licencie et les individus au chômage, mais nayant pas cotisé suffisamment longtemps pour ouvrir des droits A.S.S.E.D.I.C., on se place demblée sur un terrain qui concerne tous les salariés actifs, chômeurs et également retraités !
On demeure dans loptique de construire un rapport de force contre le patronat et, en même temps, on peut affirmer clairement notre critique du salariat et de l'économie de marché
Le maintien intégral du salaire, laccès à une indemnisation chômage pour les personnes nayant jamais ou peu travaillé, le financement des organismes de protection sociale par les seuls employeurs (arrêt de toutes les exonérations de charges patronales, " taxation " des profits directement par les salariés ) et leur gestion par les seuls salariés, peuvent devenir de réelles revendications de rupture, signifiant clairement par elles-mêmes que les seuls ennemis sont ceux qui nous exploitent et que lentière faute du chômage repose sur eux et eux seuls !
Si lon décide de se battre sur cet axe, il nest alors plus besoin de parler du R.M.I. ou de lallocation universelle et lon peut critiquer ces deux systèmes pour ce quils sont : des modes de gestion de la misère.