Mossane, film dune grande beauté visuelle, est un film issu dun combat long et harassant entre la réalisatrice, Safi Faye, les producteurs et les coproducteurs du film. Après six ans de lutte, la réalisatrice a récupéré son négatif. Elle a pu monter son film tel quelle lentendait, alors quil avait été tourné en 1990.
Safi Faye est surtout connue pour son premier film, Lettre paysanne (Kaddu Beykat), une chronique du travail des femmes de son village. Elle dénonçait avec vigueur limpact de leffondrement des cours mondiaux de larachide sur la culture, la vie du village et sur l'économie familiale. Elle obtient avec Lettre paysanne le Prix de la Critique à Berlin en 1976 et le Prix Georges-Sadoul en 1975. Le film suivant approfondit cette chronique villageoise en faisant parler un ancien, son grand-père, dailleurs. Le titre de son film est en français Grand-père raconte. De son premier film, fauché, porté néanmoins par la vigueur du contenu, elle passe à la couleur, et fait raconter son village par les vieux, les anciens, avec cette simplicité unique qui correspond à la tradition orale et au charme des récits improvisés sous le baobab.
Mossane est le récit de la belle Mossane, promis à un vieux riche, qui est amoureuse dun jeune étudiant sans le sous. Elle soffre au fleuve qui la ramène morte à ses parents. La cinéaste a mûri, son regard sest aiguisé, mais son film, peut-être à cause de sa construction très dépouillée, reste étrangement figé dans sa beauté.
M.L. : La jeune fille, dune beauté exceptionnelle, où lavez-vous trouvée ?
S. F. : Elle ne vient pas du village où nous avons tourné. On a fait un casting et on ne trouvait pas de fille qui convenait. Or, cette fille que je cherchais vivait dans la rue où j'habite. Quand on a fait le casting, elle passait par là. Donc, on sest dit, si lon essayait, ma fille la connaissait dailleurs. Les essais étaient bons comme quoi, on peut chercher partout, et ce quon veut existe tout près de chez vous.
M.L. : Vous faites jouer des acteurs ou les habitants du village ?
S. F. : Jai fait jouer tous les habitants du village. Mais jai mêlé à eux des acteurs venus de la ville. A Dakar, il y a de grands acteurs quon ne sollicite jamais. Ceux qui jouent la mère, le patriarche, Fara et loncle, ce sont de grands acteurs. Mais ils navaient jamais encore joué des villageois.
M.L. : Dans Lettre paysanne et dans Fad,Jal il y avaient des scènes très énergiques, très gaies. Mossane en revanche, cest tragique. Pourquoi ce parti pris ?
S. F. : Il ny a pas de lien entre mes trois long métrages. Aucun film ne dépend de lautre, On peut dire que cest mon écriture cinématographique qui, à travers les images, établit un lien. Ceci dit, Lettre paysanne nest pas un film gai, puisquil souligne une situation économique terrible. Fad,Jal est un film historique et pour Mossane, jai tout invente.
M.L. : La construction de votre film et de ses plans révèlent une grande liberté
S. F. : Je pense quil faut beaucoup dannées pour atteindre ce genre de liberté. Quand je pense, Mossane date de 1982, je crois que jai commencé l'écriture en 1982. On écrit, on reprend, on arrive à dire " bon, je ne peux plus aller plus loin " donc le film doit être réalisé. J'écris comme quelquun qui écrit un roman. En restant fidèle à mon récit, je cherche les images. Ce film a un story board complet. Cest mon premier film où jai procédé ainsi. Il y avait toujours un story board, du début à la fin des films, en fonction des images que javais écrites. Mais pour Mossane, le story board a été intégralement conçu avant le tournage
M.L. : On ma parlé de la difficile histoire de production de votre film
S. F. : Et pourtant, jai dit à tout le monde que cest une page tournée. Que chacun essaie de comprendre pourquoi les images que vous avez vues aujourd'hui ont été intégralement tournées en 1990. Car ces images, je nai pu les monter que cette année. On ne peut avancer quand il y a des choses comme ça, on ne peut faire autre chose ou poursuivre sa carrière. Aujourd'hui, je veux juste me libérer de ce film et pouvoir en faire un autre. Puisquon dépend dune uvre, tant que cette uvre nest pas achevée, on ne peut créer. Maintenant je veux me libérer de ce film, je ne veux plus retourner en arrière. Les producteurs et les coproducteurs peuvent dire ce qui sest passé. Ils ont tous les dossiers. La ZDF, la 2e chaîne allemande est impliquée aussi.
M.L. : Néanmoins avez-vous terminé votre projet en restant fidèle au projet initial ?
S. F. : Oui, entièrement. Chaque image est comme elle a été écrite et dessinée.
M.L. : Pourquoi cette jeune fille est fatalement victime, sacrifiée ?
S. F. : Pour moi, cest la plus belle fille du monde, mais elle nappartient pas à ce monde. Donc, elle retournera là où les gens qui sont beaux, purs et innocents. Elle nappartient pas à ce monde.
M.L. : Pourtant son destin pourrait être celui de beaucoup de jeunes filles en Afrique.
S. F. : Ça, cest votre imagination, ce nest pas la mienne. Mon imagination nest pas allée jusque là. Je refuse quon fasse un lien entre Mossane que jai inventée, imaginée et créée et la réalité africaine. Je refuse cela et comme je lai déjà dit, Mossane vient de mon imagination. Jai tout inventé, rien ne vient de lAfrique, mis à part mon imagination en tant quAfricaine. Personne ne pose aucune question quand passent des films à la télévision où ne déambulent que des fantômes ! Dès que lautre vous dit, quil a vu, même sil a entrevu un rêve, un ailleurs, à partir du moment quil a imaginé les choses de la sorte, il ne faut pas poser des questions.
La fiction, cest une pensée qui va de plus en plus loin. Peut-être que jai fait trop de films basés sur la réalité et ce sont ces films là qui mont fait connaître. Cest pourquoi je refuse de faire un lien entre la réalité et limagination, cest une fiction pure et simple. Jai tout imaginé et jai fait jouer par de grands acteurs ce que jai imaginé. Tout est de la fiction.
M.L. : Il y a une grande liberté dans votre film, les paysages sont traités comme des personnages
S. F. : Le chef opérateur est allemand. Jürgen Jürges a travaillé avec FaBbinder et dautres auteurs du " Jeune Cinéma Allemand ". On a travaillé pendant deux ans avant de tourner un seul plan. Il ma appris à préparer un film autrement. Cela vous amène à faire des images autrement. C'était une manière de travailler que je ne connaissais pas.