Le 3 mars dernier est née une mission parlementaire dinformation chargée de faire la lumière sur le rôle de l'État français et des autres puissances dans le génocide rwandais de 1984. Certes, ce nest pas une commission denquête, mais ne boudons pas notre plaisir, car déjà, les affirmations de certains membres de cette commission ont de quoi faire sourire : tel Baumel (R.P.R.) qui entend faire de cette commission un rempart face la propagande anglo-saxonne antifrançaise ou lardeur de Quilès qui entend mettre sur le même plan le rôle de la France, de lO.N.U. et des autres puissances (notamment les États-Unis), histoire de ménager la mémoire de Mitterrand.
Car l'État français est coupable. Pour ceux qui suivent de près lactualité africaine, cela ne fait aucun doute.
L'État français est coupable davoir soutenu jusquau dernier moment un pouvoir dictatorial, corrompu et raciste. Il lui a sauvé la mise dès la première offensive du Front Patriotique Rwandais (1990), participant également à des actions de contrôle des population, ce qui équivalait, à l'époque, à livrer à labattoir des Tutsis.
L'État français est coupable, car il savait pertinemment quau sein de l'élite dirigeante rwandaise, laile dure préparait un plan de liquidation massive des Tutsis et des Hutus modérés pour empêcher que les accords dArusha (1990) entre le pouvoir et le FPR ne favorisent une " démocratisation " du régime.
L'État français est coupable car jusquau bout (mai-juin 1994), il a livré des armes et de la logistique aux Forces Armées Rwandaises, celles-là même qui encadraient les bandes de massacreurs.
L'État français est coupable davoir, sous couvert daide humanitaire, permis à ses alliés génocideurs de se réfugier au Zaïre et dy trouver des bases arrières nécessaires à des contre-offensives denvergure (en profitant des réseaux français pour lachat de matériel militaire).
L'État français est coupable davoir succombé au " syndrome Fachoda ", en clair davoir fait la guerre aux Anglo-saxons (les Tutsis du F.P.R. venant de lOuganda anglo-saxon) par Hutu Power (les " génocideurs ") interposé.
L'État français est coupable daccorder lasile aux principaux dirigeants du Hutu Power (dAgathe Habyarimana, femme du dictateur décédé à lidéologue Fernand Nahlmana, spécialiste de lappel au meurtre sur les antennes de la Radio Mille Collines) responsables de la liquidation dun million de personnes.
L'État français est coupable davoir fait obstacle à la reconnaissance du génocide par le Conseil de sécurité de lO.N.U. et dy avoir défendu la thèse intenable du double génocide. Dans le même ordre didée, l'État français a usé de toute son influence pour empêcher loctroi daides durgence au nouveau régime rwandais.
L'État français est peut-être même coupable davoir liquidé le président Habyarimana en faisant sauter son avion peu avant son atterrissage a Kigali puisque, selon certaines sources, le missile utilisé à cette occasion aurait été récupéré par larmée française lors du conflit du Golfe.
Cette liste ne prétend pas à lexhaustivité. Elle montre juste a quel point les hautes sphères dalors (Mitterrand à la présidence, la droite au gouvernement) ont bel et bien appuyé la logique génocidaire à l'uvre pour les beaux yeux de la Françafrique et de la francophonie.
Définir la Françafrique est compliqué et simple à la fois : compliqué parce quelle se compose de multiples réseaux politiques, financiers, économiques, militaires réseaux se chamaillant à la moindre occasion ; simple car tout ce beau monde ne forme en réalité quune impressionnante mafia faisant son beurre avec le commerce " ordinaire " (pétrole, matières premières ) et les trafics les plus juteux (trafic de drogue et de pierres précieuses, blanchiment dargent sale).
Évidemment ces réseaux/clans ont une sainte horreur de tout ce qui pourrait entamer leurs rentes financières. Lobbyistes chevronnés, ils mettent immédiatement la pression sur les gouvernements pour influer sur leurs décisions, quand, bien sûr, ce ne sont pas leurs hommes qui occupent les fauteuils des ministères.
Larmée française également peut faire valoir sa différence en Afrique, seul endroit où elle peut encore rayonner, faire et défaire les pouvoirs en place. Dans le cas du Rwanda, il est avéré que ce sont les militaires qui se sont imposés comme les maîtres de linformation en direction de l'Élysée, diabolisant le F.P.R. (les " khmers noirs ") et faisant des États-Unis via lOuganda les véritables fauteurs de guerre.
Mais depuis des années, lAfrique est entrée dans une phase de mutation accélérée : émergence de puissances régionales (Afrique du Sud, Ghana, Ouganda, Nigéria), liquidation de régimes anciens (Guinée, Éthiopie, Zaïre), généralisation de conflits politico-mafieux (Sierra Leone, Liberia, Tchad). Face à cela, la riposte de l'État français à été de deux ordres. soutien verbal à un relookage démocratique (le fameux discours de La Baule de Mitterrand) mais défense dans les faits de régimes délégitimés. Les exemples sont nombreux, de lorganisation complète dun scrutin truqué pour le compte dIdriss Déby (Tchad) à la remise en selle dun Mobutu agonisant dans un Zaïre à la dérive. Mais voilà
Il était un temps où la France pouvait régner sur son pré-carré sans grand problème. Mais régner, sattacher des clientèles coûte cher et la crise économique a poussé l'État français à se désengager financièrement. Parallèlement, certains pays africains anglophones sont apparus dans cette période comme politiquement plus stables, économiquement plus sains (selon les critères du F.M.I.) et aguerris à la " guerre économique ". Pour les entreprises françaises vivant de leurs rentes africaines, il y avait là un risque important de perte de marchés.
La perte du Rwanda est apparu dès lors comme politiquement symbolique de cette érosion du pré-carré, preuve de lincapacité de la France de protéger ses États-clients. Après le Rwanda, cest le Zaïre de Mobutu qui est tombé. Et même si l'État français a colmaté les brèches au Congo, les perspectives ne sont guère rassurantes pour les défenseurs de lEmpire !
En fait, pour certains analystes, l'État français est en panne de politique africaine. Il navigue à vue " sans vision ni anticipation, enracinée dans l'habitude où plutôt la routine, [recourant] sans talent aux vieilles recettes éprouvées " (Jean-François Médard). Jean-François Bayart y ajoute une dimension essentielle, celle de la vision quont les élites françaises des Africains, une vision culturaliste (voire raciste) selon laquelle tout conflit sur le continent noir est un conflit tribal (et non un conflit politique dans lequel les acteurs instrumentalisent à leur profit les référents ethniques).