J'écris ces notes à propos de la nouvelle loi sur limmigration approuvée définitivement par le Sénat le 21 février avec un grain damertume qui me pique le palais. Pour un pays comme le nôtre qui a pour ainsi dire inscrit dans son code génétique le sens, l'histoire, la douleur, les difficultés, la fuite de millions d'hommes et de femmes contraints par la pauvreté et la discrimination à émigrer durant un siècle, et jusquaux années 60, cette loi est un élément ultérieur daffront et doffense. De la part dun pays, enfin, qui a éparpillé 26 millions d'émigrants dans la période qui va de 1861 à 1960, nimporte quel individu de bonne conscience devrait sattendre à un minimum de clémence de la part des classes dirigeantes.
De plus, j'écris ces notes le jour où le plus important quotidien de Livourne rapporte en rubrique nationale et locale, avec une importance particulière, la nouvelle dune agression plutôt bizarre. Un para aurait été agressé et balafré par un laveur de vitres pour lunique raison que lextra communautaire aurait refusé les 500 lires daumône que le brave militaire lui aurait consenties pour le service rendu. Article dun racisme particulièrement nauséabond. Dans la ville rouge, démocratique, tolérante quest Livourne, la presse se livre à une concurrence avec les croisés des ligues du Nord (ou avec celles non moins violente dAllianza nazionale au sud) sur le terrain du racisme. Le pouvoir des classes dominantes varie les couleurs de sa casaque mais non les orientations de sa pensée.
Et cest justement en continuité avec la pensée unique qui traverse tous les sigles parlementaires que se situe la loi sur limmigration. Sur lensemble des 49 articles qui constituent le squelette de la loi, vous ne trouverez pas une ligne relative à des arguments du type politique daccueil et dintégration, mécanismes dadaptation de lorganisation du savoir par rapport à une probable société multiethnique ; égalisation des conditions de travail entre les extracommunautaires et les autochtones, politique de naturalisation.
La principale préoccupation du gouvernement est la fermeture des frontières, la réglementation et la surveillance des flux migratoires, la militarisation du territoire, la coordination avec les autres polices de la Forteresse Europe.
Si bien que cette loi nest pas autre chose quune mauvaise loi de répartition des flux migratoires. Larticle 19 affirme explicitement : " Lentrée sur le territoire de l'État pour des motifs de travail dépendant, même saisonnier, et de travail autonome, seffectue dans le cadre des quotas dentrée fixes " chaque année par des décrets signés par le président du Conseil " sur la base des critères et autres indications " (art. 3, alinéa 4) contenus dans le document programmatique élaboré par le gouvernement tous les trois ans. Le fait que ce soit justement le ministre de lIntérieur qui doive chaque année présenter " un rapport sur les résultats atteints au travers des mesures dapplication du document programmatique " (art. 3 alinéa 1) en dit long sur la volonté des classes dirigeantes actuelles de tracer " les interventions publiques visant à favoriser les relations familiales, linsertion sociale et lintégration culturelle des étrangers résidents en Italie " (art 3, alinéa 3).
Si bien que larticle 48, relatif à la couverture financière nécessaire à lapplication de la politique des flux migratoires est un chef-d'uvre d'hypocrisie. Cet article fixe à 42 500 millions la charge que l'État doit supporter en 1997, à 124 000 millions la dépense pour chacune des années 1998 et 1999. Chiffre vraiment dérisoire si on le compare avec ce que coûtera lentrée de pèlerins en Italie lannée du Jubilé ou avec les sommes astronomiques affectées aux dépenses militaires, ou encore avec la razzia opérée par les partis pour leur financement soustrait au Trésor public.
Il faut ajouter que la plus grande partie du financement pour la politique dimmigration servira à développer les préfectures de police et les organes de police. En 1998 par exemple, il est fixé que 8 milliards serviront pour " doter les préfectures de police qui ne disposent pas encore du matériel technologique nécessaire à la transmission par voie télématique des données didentification personnelle ainsi que des opérations nécessaires pour assurer le lien entre préfectures de police et le système dinformations de la Direction centrale de la police criminelle. "
Ce nest pas tout. Jusquici les États doù viennent les immigrés sont dépourvus dinstruments de contrôle et de surveillance, ce sera la tâche du ministère de lIntérieur et de celui des Affaires étrangères de céder " à titre gratuit aux autorités des pays intéressés " ces biens et ces " appareils particulièrement adaptés " afin d'" accélérer lexécution des contrôles et la délivrance des papiers " (art 9, alinéa 4). Ceci constitue un passage obligatoire de la généralisation de la surveillance au niveau international. La condition de l'émigrant extracommunautaire va être profondément bouleversée par cette loi. Urbano, dans un article récent dUmanita Nova disait justement " Et leur condition devient, par rapport à ces dernières années beaucoup plus dramatique parce que jusqualors un étranger chassé dune frontière pouvait chercher à entrer dans nimporte quel autre pays européen mais aujourd'hui grâce à lUnité européenne, celui qui est fiché en Italie comme immigré clandestin sera arrêté sil essaie dentrer en France ou en Allemagne car sy applique aussi le fichage italien et vice-versa ".
Cependant les changements ne concernent pas seulement ce qui se passe aux frontières en conformité des accords de Shengen.
A lintérieur, le pouvoir reconnu aux forces de lordre est absolu. Non seulement tout passe par les préfectures de police (attribution et révocation des permis de séjour, application des directives contenues dans le document programmatique triennal et dans celui d'évaluation annuel rédigé par le ministre de lIntérieur). Mais la situation de précarité de limmigré est sanctionnée ultérieurement du fait que " lautorité de sécurité publique, quand les raisons sont fondées, réclame aux étrangers des informations et des actes attestant de la disponibilité dun revenu, du travail ou dune autre source légitime, suffisante pour sa propre subsistance et celle des membres de sa famille vivant avec lui sur le territoire de l'État. " (art. 6, alinéa 4)
Supposons quun immigré extracommunautaire ait réussi à obtenir le permis de séjour et à sinsérer dans le monde du travail. Puis il est licencié, parce quil a peut être participé à une réunion syndicale, à une lutte pour laugmentation des salaires avec ses collègues de travail autochtones et quil soit à la recherche dune nouvelle embauche. À ce moment là, sil se fait attraper par la police, il risque le retrait de son permis de séjour et le retour dans son pays dorigine parce quil ne peut prouver comment il vit.
Si nous utilisons un mécanisme emprunté aux mathématiques pour donner le sens de notre discours, nous pouvons dire que cette loi est à la civilisation contemporaine du travail ce quest cette affirmation de Vittorio Emmanuel Orlando face à lorganisation du travail en Italie au XIXe siècle. Ainsi sexprimait un des plus importants dirigeants libéraux de l'époque dans les débats sur le travail des enfants en 1881 : " On parle tant des enfants dans les mines et cest pitié, certes, de voir ces pauvres petites créatures gémir et peiner sous le poids impitoyable du métal. Mais combien dautres très chères et pauvres existences [ ] ne se sont-elles pas précocement éteintes victimes [ ] dun morceau d'Homère ou dune équation insoluble du second degré ? "
Pour ce qui concerne le chapitre des expulsions, cette loi assume totalement les éléments les plus odieux du décret Dini. Lexpulsion est considérée comme une " mesure de sécurité ", cest-à-dire comme une condamnation non définitive. Cest le préfet de police qui peut entamer la procédure même si " l'étranger est suspect " et elle devient opérationnelle grâce au juge dInstance. Lexpulsion concerne tous ceux qui nont pas demandé le permis de séjour, ne lont pas renouvelé ou simplement nont pas été régularisés. En plus, elle concerne tous ceux qui sont politiquement refusés. Si lexpulsion ne peut être immédiatement exigée, souvrent les portes de modernes camps de concentration qui, en régime démocratique sont définis comme " camps de séjour provisoire ". Cest la tâche du juge dutiliser la force publique pour prendre " des mesures de vigilance " afin que l'étranger ne s'éloigne indûment du centre. " (art. 12, alinéa 7)
Me vient à lesprit une belle page de Pennac qui ouvre " La fée carabine " pour exprimer lattitude du gouvernement envers le problème de limmigration. Il sagit du récit du meurtre de linspecteur de police Vanini. Le blondinet frontalement national qui ne voulait pas être traité de disciple de Le Pen parce quil était raciste. Le gouvernement Prodi lui aussi semble avoir " appris, il y a si longtemps, la grammaire " quil ne sagit pas " dun rapport de cause mais de conséquence ". Il semble avoir finalement compris, de façon frontalement nationale que limmigration est un danger objectif, que les étrangers sont jetés dehors dabord pour le discours " sécurité publique " et ensuite pour le chômage. Il a tout à fait raison Pennac : quand on a autant de bonnes raisons davoir une opinion juste, il ne faut pas se la laisser souiller par des accusations de racisme. "
Nous nattendrons plus quune singulière petite vieille se dirige, le bras pointé vers lui " comme si elle le désignait du doigt sinon qu'à la place de lindex, la vieille femme brandissait un P 38 d'époque. " Et quand la petite vieille appuya, toutes les idées du blondinet, pardon, du gouvernement s'éparpillèrent encore " formant une fleur gracieuse dans le ciel hivernal. "