Le dopage est une " affaire " qui revient périodiquement dans les colonnes des rubriques sportives : contrôles pipi positifs, problèmes de santé de sportifs de haut niveau, voire décès suite à un malaise cardiaque, un cancer ou encore pétage de plombs et hôpital psychiatrique.
Quelles sont ces substances miracles qui accompagnent ces sportifs dans une gloire éphémère (ou dans un anonymat complet), puis parfois vers une dégringolade aussi rapide ?
Ces produits qui changent les propriétés physiques du corps humain ou animal ont des " utilités " diverses : augmenter la masse musculaire (les anabolisants), empêcher que se déclenchent les signaux normaux de la fatigue et " donner un coup de fouet " (les amphétamines, la cocaïne, la caféine), modifier la composition sanguine en augmentant le taux de globules rouges de manière à apporter plus doxygène aux muscles (l'érythropotéine alias EPO, les transfusions sanguines avant les compétitions), ralentir le rythme cardiaque, diminuer le stress (les médicaments bêta-bloquants).
Quant au cannabis, il fait débat dans le mouvement sportif : sert-il ou non à améliorer les performances sportives en étant facteur dagressivité ou permet-il à certains sportifs de décompresser après des compétitions particulièrement stressantes ? Toujours est-il que le cannabis fait partie des produits interdits du monde sportif (qui ne pourrait de toute manière être plus laxiste que la société en général).
Les pages sportives des journaux et les médias audiovisuels abordent le problème du dopage sous langle de la santé (volet prévention) pour aussitôt crier à la tricherie et réclamer des sanctions (volet répression). En face de cette notion négative de tricherie, se trouvent les valeurs positives de droiture, de fair-play, d'égalité des chances, de saine émulation. Or, il nous est difficile de croire à ces valeurs dans ce système économique et social fondé sur la compétition féroce entre individus, entre villes, entre pays. Comment peut-on croire que le sport de compétition est en dehors des tensions dune société où tous les moyens sont bons pour les dominants afin daccroître cette domination ?
Ainsi, le dopage et la violence sont officiellement interdits dans la compétition sportive, au même titre que les formes variées de délinquance (violence, racket, escroquerie, affairisme, abus de biens sociaux) sont honnies dans la société. Dans les deux cas, elles sont rejetées parce quelles constituent une concurrence déloyale dans un monde où les idées libérales (le mythe dune saine concurrence) sont prédominantes. Il y aurait dun côté les " réglos ", de lautre les " tricheurs ".
Revenons au sport et intéressons-nous justement au sportif " réglo ", celui ou celle qui sont applaudis pour leur sérieux, leur abnégation. Lexpression qui revient souvent dans les médias à propos des champions, cest leur qualité " de ne laisser rien au hasard " : ce discours pourrait concerner pareillement un chef dentreprise, un juge, un politicien.
En fait, les champions sont très dépendants de leur entourage familial ou sportif. Autrefois, on voyait autour du sportif lentraîneur, le masseur et le dirigeant : lentraîneur et le masseur soccupaient de la préparation sportive, le dirigeant de la logistique. Aujourd'hui, fini lempirisme : bonjour, lapproche " scientifique ". Si le dirigeant est toujours là pour ramasser les bénéfices, cest un ensemble de spécialistes quon voit grouiller autour de nos sportifs de haut niveau : le préparateur physique, le sophrologue, le diététicien, le psychologue, le kinésithérapeute, le cardiologue, le biologiste, lingénieur en mécanique ou en aérodynamique, le statisticien-informaticien (ou encore les conseillers en communication ou en placement financier). Il sagit de tirer le meilleur rendement athlétique du sportif en déterminant son point de rupture physique, pour lapprocher sans le dépasser (1). Là encore, les bavures existent sans quon puisse les imputer au dopage. Le sportif de haut niveau qui devrait selon la légende péter la santé accumule les pépins : tendinites, claquages musculaires, rhûmes, etc.
Ainsi, le sportif de haut niveau nest quun rouage dune machinerie qui lalimente et le dévore à la fois, bref qui laliène. On voit bien qu'à niveau athlétique équivalent, le sportif bénéficiant de la meilleure structure est avantagé. Néanmoins, ce fait nest généralement pas dénoncé comme faussant la compétition : il sagit dun investissement avec prise de risque, ce quen société libérale, on présente comme normal et sain.
En conclusion : le dopage est la forme extrême dun phénomène plus large, la recherche de technicité dont lobjet est le corps. Le caractère de ce qui est tricherie ou ne lest pas est décidé par des organisations para-étatiques nationales ou internationales comme le Comité International Olympique, plus en fonction de considérations politiques et commerciales que dordre sanitaire ou éducatif.
" Et je remercie mon entraîneur et ma famille sans qui je ne serais pas là aujourd'hui ".
(1) Numéro spécial 30 " le sport, cest la guerre ", Manière de voir, Monde Diplomatique