"Un jour arriva dans mon block une Hongroise avec un petit enfant. Un jour arrivèrent des SS pour chercher lenfant. Par des détenus travaillant dans un commando spécial, jai appris plus tard que lon avait jeté lenfant au feu. La même nuit, la mère se jeta sur les barbelés à haute tension ", raconte Véra Alexander.
Pierre Arnoult évoque, lui, " le lendemain de notre arrivée à Neuegamme, la pendaison de trois Russes devant lesquels nous avons du défiler en musique ". " Je suis entré au camp à seize ans. Je nen suis jamais vraiment ressorti ", affirme pour sa part Charles Baron.
Ce sont là des citations prises au hasard dans les toutes premières pages de cet ouvrage en deux tomes, illustré par une foule de dessinateurs et regroupant des centaines de courts propos ou de brefs extraits d'écrits sur les camps de concentration et dextermination nazis, par ceux-là mêmes qui en furent les victimes et qui ont survécu.
On doit à Michel Reynaud, artisan dun travail patient et phénoménal, et auteur ici dune présentation émouvante et magnifique, davoir réuni cette somme de témoignages implacables et bouleversants, lecture terrifiante dont il est impossible de rendre compte.
Il faut saluer à cet égard la belle honnêteté dAnny Duperey et de Jacques Weber, pressentis par l'éditeur pour offrir une préface à ce livre et qui tous deux, préférant seffacer humblement derrière les témoins, ont fait savoir leur impossibilité de trouver les mots pour remplir cette tâche au-dessus de leurs forces. On peut regretter, après lecture de sa contribution, que Philippe Val nait pas eu semblable pudeur.
Alors, pour faire connaître ici cet ouvrage, jai, après lecture, ouvert les pages au hasard pour laisser place aux victimes de cette indicible tragédie pour qui ne la pas vécue, et jai glané ceci : " Tandis que nous, nous sommes là, cloîtrés, au milieu de la boue, semblables à des bêtes, cherchant un peu d'herbe pour manger ou grattant la terre pour en retirer les racines en guise de nourriture. Toute là population qui saffaire autour du camp rit de nous voir faire. Quelquefois ils nous jettent des pommes pourries. Cest une grande satisfaction pour eux de nous voir rouler les uns sur les autres pour se disputer un fruit pourri " (Jean Fanguin). Et puis ceci : " Un chien des SS est lancé contre une Grecque, mais il ne doit pas la finir tout de suite, non, car nous devions toutes regarder, et donc cette représentation criminelle devait être traînée en longueur, la mort devait être encore quelque peu retardée. Elle navait plus que la peau et les os. le chien était beaucoup plus lourd que cette forme enfantine. Au commandement, le chien devait chaque fois lattaquer à nouveau, et au commandement elle devait chaque fois se redresser et elle la fait . " (Mali Fritz-Padwa). Ou encore : " Un spectacle dont je me souviendrai et que j'évoque ici : un Tzigane sans connaissance, mais encore vivant, est couché sous une douche laissant couler une eau tantôt brûlante, tantôt glacée. Personne ne pense à len écarter. Il y restera ,des heures avant, sans doute, de mourir " (Gilbert Hoffmann). Et puis ceci : " Mon ami et moi quittâmes le block et allâmes au coin de la place dappel, près du camp de femmes. Un peu plus loin nous aperçûmes par terre un bout de pain. Mon ami se baissa pour ramasser le pain. Tempel dégaina son pistolet, visa et le tua " (Abraham Rosenfeld). Et enfin : " Ce matin nous avons trouvé un oiseau mort. Il sest tué en heurtant les fils de fer barbelés chargés de courant électrique. Ces fils sont devenus fatals au seul être vivant auquel ils n'étaient point destinés, le seul être pour lequel ils n'étaient quune partie du paysage, comme les arbres, les baraques, les miradors. Pour nous autres, prisonniers, le fil de fer se confond avec l'horizon, au-delà duquel il ny a plus rien, même pas de liberté " (Paul Trédant). Simples mots, simples phrases, beaucoup de poèmes aussi, l'horreur saccumule au fil des pages, et une angoisse où se mêlent le désespoir et la révolte ne vous quitte plus.
Si quelque énergumène prétend douter de ces témoignages parce que ne sont pas précisées la hauteur des barbelés au centimètre près, la race du chien ou lespèce doiseau mort, ne vous fâchez pas. Au contraire, souriez et, jouant sur leffet de surprise, de toutes vos forces lancez-lui un coup de pied dans les parties génitales. Profitez alors quil soit penché vers lavant à cause de la douleur pour lui assener un autre violent coup de pied à la pointe du menton.
Une fois lindividu à terre, penchez-vous sur lamateur de " détails " et demandez-lui sil est capable de nommer la marque des chaussures que vous portez aux pieds et qui ont servi a le frapper.
Sil ne peut répondre, dites-lui que la violence quil vient de vivre, la douleur quil ressent, ne sont que pure imagination, pur fantasme de sa part, un mauvais rêve, une histoire sans preuves, puis aidez-le à se relever, à ne pas demeurer ainsi vautré dans la fange du caniveau de la pensée.
La Foire à l'homme. Ecrits-dits dans les camps du système nazi de 1933 à 1945. Présentation de Michel Reynaud. Éditions Tirésias. Deux tomes, 160 F chacun.