On ne saurait raisonnablement exiger dun homme ignorant tout de la destination des adultes et enfants juifs de Gironde raflés sur ses ordres quil nous dise le nombre exact des victimes de la répression féroce de la manifestation des Algériens de Paris, le 17 octobre 1961, lorsquil était préfet de police.
Papon ne dira donc rien sur le sujet. Nul tribunal naura dailleurs le mauvais goût de le lui demander, car il n'était plus alors le larbin zélé dun régime fascisant et collaborateur, mais le représentant dévoué dun État républicain au cur grand comme ça.
Heureusement, pensait-on, il y a les archives. Des rapports sur cette charmante soirée de défoulement collectif policier existaient au ministère de lIntérieur, à la présidence de la République, à l'Hôtel Matignon, à la Direction générale de la police, à la Brigade fluviale, qui avait repêché les corps jetés en Seine, et aussi dans trois services officiels de surveillance ou didentification de la population algérienne en France. Seulement, vous savez ce que cest, l'époque ignorait encore linformatisation, et le désintérêt légendaire du fonctionnaire pour son travail, notamment le rangement des dossiers, a fait que, pas de chance, tous ont disparu.
Privé de documents mais aussi de témoignages, les rescapés de ces événements étant semble-t-il, plus difficiles à trouver que ceux de Bordeaux sous lOccupation, un conseiller d'État généreux vient dajouter, dans un rapport destiné au ministre de lIntérieur, vingt-cinq cadavres, trouvés tardivement dans un placard de lInstitut médico-légal, aux vingt-sept victimes jusque-là officielles. Vingt-cinq morts, pas un de plus, qui auront attendu trente-cinq ans pour avoir droit, si lon peut dire, à lexistence.
Trente-deux au total. Une affaire classée