Monsieur Meirieu, pédagogue officiel de l'Éducation nationale a rendu son rapport sur lavenir des lycées, lors dun colloque en banlieue lyonnaise. Le ministre a été fort satisfait dun rapport aussi politiquement correct. Les autres acteurs du système éducatif (associations de parents d'élèves, syndicats des profs et des personnels, " représentants " des élèves etc.) ont chacun pu trouver motif à satisfaction dans lun ou lautre des 49 points du rapport. Tout ce petit monde a ensuite été récompensé de son attention par une " animation beaujolaise ". Il faut dire que deux heures de discours pédagogique de P. Meirieu, ca dessèche ! C'était consensuel au point que même le féodal local, Raymond Barre, a applaudi le rapport mais on ne sait pas si c'était après ou avant lanimation beaujolaise.
Il parait, cest même le discours officiel, que le lycée a réussit la massification de lenseignement (2 300 000 lycéens et 238 000 profs) mais pas sa démocratisation. Autrement dit, quand un adolescent vient dune famille de prolo ou dune banlieue pauvre, il a plus de chance quavant de rentrer au lycée mais pas plus davenir scolaire ou professionnel : facs, écoles, travail gratifiant, lui sont plus que jamais fermés.
Pas question pour autant de sattaquer aux racines du mal et d'évoquer un quelconque changement social. Non, il sagit simplement de faire semblant que le lycée serve à quelque chose pour ceux que la société ne destine pas aux études supérieures et aux postes de commandement.
Deux moyens complémentaires sont utilisés. Dabord, alléger les exigences intellectuelles de manière à donner limpression de la réussite scolaire au plus grand nombre. Peut importe ensuite que cette pseudo " réussite scolaire " ne serve pas à grand chose et quil y ait inflation des diplômes. Il y a effectivement plus de réussite au bac mais là ou on recrutait au niveau bac (les instituteurs par exemple) on recrute à bac plus trois, et peut-être demain à bac plus cinq.
Ensuite, le lycée doit servir à former des citoyens dociles et qui acceptent les règles du jeu du système social inégalitaire. En langage éducatif cela devient " le lycée forme ses élèves a devenir des citoyens actifs et solidaires ". La citoyenneté, cest le nouvel Eldorado de la pédagogie ; pas un programme scolaire, pas une discipline qui nen fasse le pivot de son action. Pour cela l'État rend obligatoire à partir de 1999 une heure par semaine et dans toute les filières de catéchisme républicain, pudiquement nommé " Éducation civique, juridique et politique ".
Allègre entretient sur les aspects concrets de la réforme le flou le plus complet. La transformation des programmes devrait demander immédiatement et sans plus de concertation. Le conseil national des programmes est pour cela bien entraîné puisquune réforme des programmes de géographie et d'histoire est déjà en cours et devrait se terminer lannée prochaine. Alors, reforme de la réforme ? Dautre part une refonte des lycées doit être présentée en octobre 1999. Empruntera-t-elle la forme dun projet de loi ? La seule chose qui soit certaine cest quAllègre est conscient que sur un tel sujet, politiquement explosif, il est impossible de faire lunanimité. Alors il brouille les pistes pour empêcher ses adversaires de sorganiser.
Un exemple : le baccalauréat va-t-il rester un examen anonyme ou comporter un part de contrôle continu ? Aux enseignants, le ministre et le rapport Meirieu disent : examen anonyme. Mais aux élèves et aux parents d'élèves ils laissent entendre que leur volonté dallégement du bac et du contrôle continu a été bien entendue. Mais là nest pas lessentiel
Le 29 avril, jour ou C. Allègre présentait son projet de réforme des lycées, 55 établissement de Seine-Saint-Denis étaient en grève, certains depuis six semaines. En Guadeloupe, les enseignants ont décidé la grève illimitée jusqua satisfaction de leurs revendications ce qui fut fait le 30. À ma connaissance, ce type de conflit social dur navait jusque la jamais lieu dans l'Éducation nationale, au moins à une telle échelle. Un grève de profs normale dure une journée, au plus trois (après les prochaines vacances semblent compromises). Elle est appelée et contrôlée par les syndicats et se termine par un rassemblement bon enfant et au son du sifflet devant linspection académique, le rectorat ou le ministère, selon limportance que lon veut donner à l'événement Un année scolaire normale comprend au moins une grève, afin que les mauvaises langues ne puissent pas dire que les syndicats de profs servent uniquement à soccuper des mutations de leurs clients, et au plus trois, parce quaprès cest de lagitation gauchiste. Bref, une grève, une vraie, cest inespéré et cela marque un véritable changement dans les pratiques militantes des profs.
Dailleurs le ministre a dû sentir passer la vent du boulet et il a débloqué 3 000 postes pour le seul département de la Seine-Saint-Denis. Il sest même excusé du retard en larmoyant quil avait conscience du problème aigu de ce département depuis le début (ben tient!) mais que son administration avait traîné les pieds (Ah les méchants).
Quant à la Guadeloupe, elle a obtenu lattribution minimale de 169 postes (85 denseignants et 84 de personnels) et, cest moins bien, de 700 emplois-jeunes venus compléter les 497 existants.
Effectivement, seule la lutte paye, mais ça nest pas une nouveauté.