Mener une grève exige un réel engagement de sa propre personne. Je ne parle pas ici de la grève de 24 heures dans la fonction publique, dont on pourrait discuter de lintérêt mais qui de toute façon ne relève pas de la même intensité. Car la grève, dans cet engagement de sa propre personne provoque des tensions parfois extrêmes et jamais faciles à vivre. La grève peut aller jusquau licenciement. Et on sait que le patronat détient là une arme efficace. Car même lors dun licenciement abusif déclaré par les Prud'hommes le patron na aucune obligation de réintégration. Et si les tensions qui sexpriment lors dune grève naboutissent pas toujours et heureusement au licenciement, elles sont toujours importantes. Elles sont importantes dans la mesure où la grève et dune manière plus générale lorganisation des exploité(e)s remet en cause le concept même du capitalisme où les propriétaires des entreprises détiennent tous les pouvoirs. En ce sens inviter des militants qui ont mené une grève de 28 mois à loccasion du ler Mai était un symbole. Et sur Nantes ce fut une réussite : une réussite par rapport au nombre de personnes présentes au débat, une réussite par le visage montré par notre mouvement qui sinscrit dans le social et qui refuse lantisyndicalisme primaire aussi ridicule quun ouvriérisme outrancier à la LO, une réussite par l'écho médiatique. Ce fut aussi une réussite de part les rencontres Voici donc un extrait de conversations avec Jean Luc Chagnolleau secrétaire général CGT Dockers Port de Nantes ainsi que Daniel Lefevre secrétaire de la fédération nationale CGT Docker qui apportent à leur tour un éclaircissement (voir ML n°l120, 1123).
ML : Qua représenté pour vous la lutte de Liverpool ?
R : La solidarité a été systématique car leur combat est le nôtre une lutte contre la déréglementation que veut imposer le patronat mondial. Les problèmes anglais, on les a connu en 1992 et les australiens les rencontrent aujourd'hui. En Australie les lobbies du transport et les grands propriétaires terriens veulent le nivellement vers le bas des conditions de travail afin daugmenter leurs marges de profits. Au départ on a parlé de 1400 licenciements puis de 3000 Les syndicats australiens ont gagné un recours devant les tribunaux entraînant la nullité des licenciements mais la situation reste très tendue. Les ports sont quadrillés par des vigiles afin très certainement de provoquer des incidents
ML : La rencontre sur le port de Nantes avec les dockers de Liverpool a été loccasion de discuter et de mettre des choses à plat.
R : La solidarité avec Liverpool a été importante. Des rencontres mondiales ont eu lieu et une action fin janvier 98 était prévue : au minimum une heure de grève dans tous les pays, sur les cinq continents. Nous nen voulons pas aux dockers de Liverpool car ils vivaient des conditions difficiles avec la mort de camarades. Ce mouvement international, par son ampleur et son unanimité gênait. De même se profilait la création dune coordination internationales des dockers. Il gênait logiquement le patronat mais certainement aussi certains dirigeants de syndicats réformistes de lITF (International Transport Federation). Ce syndicat a depuis le début trahi la cause de Liverpool. Mais là, il a utilisé la situation désespérée et utilise des relais politiques et patronaux pour trouver un accord 48 heures avant un mouvement international de grande ampleur.
ML : Rapidement, quelle est la situation sur Nantes ?
R : Fin juillet 92 nous étions 196. Aujourd'hui nous sommes 50 : un drame humain terrible pour tout le monde. Ça a modifié la donne pour nous. Notre culture en a pris un coup. Dune part la population a manqué de solidarité vis-à-vis de nous, mais nous avons été aussi trop corporatif. Néanmoins dans notre culture tout nest pas à rejeter : un souci du savoir-faire, une solidarité ouvrière forte (un docker ne franchit jamais un piquet de grève quelle que soient les raisons) Mais en 1992 on sest fait avoir par des gens pour qui on a voté. Sur Nantes après la claque de 1992, le patronat a voulu être trop revanchard en nous supprimant tous nos droits, nos fonctionnements d'équipe il se croyait tout permis et a provoqué un sursaut de notre part. Aujourd'hui, on relève la tète avec entre autre 10 nouvelles embauches. Nos relations sont importantes par le biais de la fédération avec les autres ports sauf Saint-Nazaire. Et nous avons voulu lors de ces rencontres de Nantes interpeller les dockers de Liverpool sur le sujet. À Saint-Nazaire, comme il lenvisage à Liverpool, ils ont crée leur propre boite dintérim. Mais lautogestion dans le cadre dun système capitaliste nest pas viable. Car pour être compétitif on reproduit les mêmes comportements. Par exemple dans le cadre de la solidarité internationale on ne suit pas parce que la boîte a des commandes. Largent ne doit pas être le seul fil conducteur de notre vie