Le Conseil régional dispose, en Bretagne comme ailleurs, de sièges dans les Conseils dadministration des lycées et de la plupart des facultés ou organismes culturels de la région. La pratique bretonne consiste à répartir ces délégations au strict pro-rata des élus : cest ainsi quune quarantaine d'établissements denseignement, de recherche ou de culture viennent d'être gratifiés dun représentant émargeant au Front national.
Sil est traditionnel en Bretagne, ce partage du gateau a fait des vagues cette année pour deux raisons bien distinctes. La première est que la gauche plurielle, dans la foulée des accords droite-FN en Rhône-Alpes et ailleurs, y a trouvé matière à fragiliser la majorité régionale conservée dune seule voix par la droite. La seconde est une erreur de casting de la part du Conseil régional.
Les précédentes mandatures de délégués F.N. navaient guère soulevé de vagues, parce quelles concernaient des structures de petite taille (donc à faible capacité dopposition), ou des établissements soucieux avant tout de ne pas déplaire à limportant bailleur de fonds quest le Conseil régional. La désignation de lUFR de Mathématiques de lUniversité de Rennes I comme point de chute du leader régional de lextrême-droite, Maugendre, a sensiblement changé la donne.
La communauté mathématique jouit dune solide tradition cosmopolite et se souvient de luttes " exemplaires ", notamment pendant la guerre dAlgérie. Il nest donc pas trop surprenant que la réaction à la nomination de Maugendre ait été déterminée et unanime chez les quelque 150 enseignants et chercheurs de lUFR de Maths : il ne sera pas question daccepter un représentant du Front national au Conseil de lUFR ! Motion, pétition, manifestation, la mobilisation est forte malgré un calendrier peu propice en période dexamens. Soutenus par lintersyndicale de lUniversité, les matheux ont entraîné dans leur sillage dautres UFR et des Conseils duniversité plus ou moins déterminés.
Le 29 mai, une manifestation devant le Conseil régional a exigé le retrait de toutes les délégations F.N. Cette manif, qui concernait tous les établissements menacés, a rassemblé quelque 600 manifestants. Il faut noter que lappel émanait de lintersyndicale de luniversité dune part, et du Comité de vigilance antifasciste dautre part. Lintersyndicale a tenu à se distinguer du Comité, cartel dorganisations trop manifestement soucieux de servir de marchepied à la gauche locale. Dailleurs, si le Conseil régional a refusé de recevoir toute délégation, le chef de file des élus socialistes a accordé une entrevue au Comité, mais pas à lIntersyndicale, sans doute trop indépendante à son goût. Le message lu à lissue de cet entretien, chef-d'uvre de récupération politicienne sur le thème " aidez les élus de la gauche plurielle ", risquait en effet de mal passer auprès de délégués mal contrôlés : la gauche plurielle na-t-elle pas accordé le même type de délégations au F.N. dans la région Nord entre 1992 et 1996 sous Blandin ? Ne laccorde-t-elle pas aujourd'hui encore dans le Centre, sous Sapin ? Autant de questions déplaisantes quun syndicaliste de base aurait été susceptible de poser aux élus de gauche, ce dont il ne pouvait évidemment être question !
Le bilan provisoire et les perspectives de ce mouvement sont intéressantes. Dune part, il se confirme que les politiciens sont plutôt malvenus dans cette lutte, dès lors quelle mobilise effectivement à la base. Dautre part, et moins réjouissant, le risque est grand de voir la majorité des établissements courber le dos par fatalisme, réalisme financier ou tout simplement indifférence. Sur les 6 composantes de lUniversité directement menacées, seuls lUFR de Maths sest réellement mouillée, les autres ont évité de sexposer. Du côté des établissements non universitaires, les réactions sont maigres, même si le lycée professionnel dEtel a clairement exprimé son refus de la délégation F.N., et même si 2 000 lycéens ont manifesté à Brest (où étaient leurs profs ?).
Cela posera évidemment un problème à moyen terme. Si une mobilisation de plus grande ampleur ne se manifeste pas dici la rentrée, la tentation de jouer " perso " sera forte : les instances universitaires ont lavantage sur les lycées de pouvoir légalement désassocier le Conseil régional de leurs instances. En supprimant ainsi le délégué du Conseil régional de ses statuts, lUFR de Maths, actuel fer de lance de la lutte, peut donc, au prix (non négligeable) dune mauvaise manière aux élus régionaux, rester fidèle à sa décision de refuser la présence du F.N. sans bloquer le fonctionnement de son Conseil. En revanche, cette éventualité laisserait dans la merde les établissements qui ont moins de marge de manuvre (notamment les lycées). Mais on ne peut être solidaire que de ceux qui luttent ! Rendez-vous donc à la rentrée pour savoir si une mobilisation globale sera à même de faire reculer le Conseil Régional.