Le jeudi 11 juin se déroulait à Lille le procès de notre camarade Christophe Fetat. Celui-ci comparaissait devant le tribunal correctionnel de Lille pour rébellion.
Il avait été interpellé le 7 janvier dernier lors de l'évacuation musclée de lagence ASSEDIC du Port Fluvial à Lille, alors quelle était occupée par des chômeurs. Christophe était accusé davoir " résisté avec violence " à l'évacuation des lieux, alors que lui-même avait été victime de cette violence policière.
Cette mise en examen déclencha un fort mouvement de solidarité. Le Comité de soutien créé sur Lille replaça demblée cette affaire dans un contexte général de criminalisation du mouvement social. Des collages massifs dénonçant cette criminalisation furent effectués et des milliers de pétitions signées.
Le procès, qui devait initialement avoir lieu le 26 février, avait été reporté au 11 juin. Le lundi 8 juin, le comité de soutien organisa un rassemblement- théâtre de rue sur la Grand-Place à Lille. Des militants dAC ! racontèrent donc avec beaucoup d'humour l'histoire de Jacqueline, la pauvre chômeuse radiée des A.S.S.E.D.I.C. et sauvée in extremis par Super Chômeuse. Chômeurs pas Chiens, un groupe de chômeurs qui s'étaient déplacés de Liège, parodièrent quant à eux les contrôles opérés en Belgique par les inspecteurs de lO.N.E.M ; (l'équivalent belge de lA.N.P.E., ici rebaptisé Office national dexclusion massive).
Plus dune centaine de personnes apportèrent leur soutien lors du procès, dont certaines venaient de Béthune, Bruay, Dunkerque, Tournai, du Comité des ex-Occupant de lAgence E.D.F. du 18e arrondissement à Paris et du Comité de chômeurs dEvreux
La mobilisation policière était, elle, tout aussi impressionnante : C.R.S., portique de détection des métaux à lentrée de la salle daudience, fouille
Tout cela témoignait de la valeur politique de ce procès et limportance quy attachaient les forces de police. Le commissaire principal en charge de la sécurité sur la voie publique, M. Epstein, témoignait dailleurs à laudience (le policier qui avait porté plainte était lui absent).
Celui-ci a dailleurs bien fait rire la salle lorsque, durant son audition, il précisa que Christophe était connu, " de vue " par ses services comme étant " leader dun groupuscule anarchiste [ ] ceci dit sans aucun jugement quant à ces idées là ". Pour décrire lexpulsion manu militari du local, il parle dune poussée " très modérément forte " de la part des policiers et de son souci d'éviter les affrontements en ordonnant à plusieurs reprises à ses hommes darrêter puis de reprendre leur progression. Selon lui, Christophe aurait donné " des coups de poings en direction des policiers ", il aurait fait des gesticulations, se serait mis " en position de boxeur ". La déposition du policier plaignant arguait, elle, du fait que Christophe aurait empoigné son blouson et laurait fait chuter, provoquant ainsi un bobo au genoux. Aucun certificat médical ne venait confirmer cette " blessure ".
Christophe contredira entièrement cette version des faits, rappelant les conditions dans lesquelles s'était déroulée son interpellation, le caractère " surréaliste " de sa mise en examen, son soutien au mouvement des chômeurs et à leurs revendications. Serge Havet, représentant dAC !-Lille, viendra témoigner du fait que Christophe, bien loin dexercer une quelconque violence à l'égard des policiers, avait tenté de modérer leur ardeur au moment ou un militant C.G.T. tombé à terre courrait le risque d'être piétiné.
Lavocat de la partie civile, gêné par lindigence des accusations et les contradictions de ces témoignages, se borna à réclamer 1 franc de dommages et intérêts car " on noccupe pas des locaux privés et on doit obtempérer aux forces de police ". Le procureur, en niant tout caractère politique au procès, se rangea derrière les témoignages policiers, estimant " quon a porté des coups ou quon à tenté den porter " et quen loccurrence, " des gestes déplacés ont été constatés ". Il réclama une condamnation de principe avec une dispense de peine.
Me Cobert, avocat de Christophe, se fit donc un plaisir de relever toutes ces contradictions. Il déclencha l'hilarité de la salle en comparant le rapport fait par M. Epstein de l'évacuation à celui dun élégant " menuet ", rappelant que cette poussée " modérément forte " était contredite par un autre rapport du même Epstein ainsi que par la déposition du policier plaignant
Et il affirma aussi le caractère politique du procès : le procureur avait le choix entre poursuivre et ne pas poursuivre notre camarade. Il rappela combien étaient rares les procès lors des mouvements dagriculteurs ou de pêcheurs. Il cita même Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, qui déclara à lAssemblée avoir donné des instructions aux procureurs lors de la grève des routiers, afin quils évitent toute poursuite judiciaire au moment où le gouvernement négociait.
Martine Aubry se retrouva elle aussi à la barre, bien malgré elle. Lavocat rappela certains de ses écrits compréhensifs à l'égard du désespoir des chômeurs, mais aussi ses louanges (hypocrites) au mouvement doccupation des A.S.S.E.D.I.C. au micro de lAssemblée nationale.
Et surtout, il rappela que, de blessé dans ce procès, il ny en avait quun : Christophe. Quon avait été bien incapable de déterminer quelle violence il avait commise, mais quon savait avec certitude que lui en avait été une victime ! Et que, quand bien même il aurait eu des " gestes déplacés ", on ne condamne pas quelquun pour cela : " La gesticulation nest pas une infraction ".
Christophe a donc été relaxé au bénéfice du doute. Cest une victoire, dautant plus savoureuse que les perdants sont pour une fois du côté des forces de lordre. Le sous-titre de larticle de Nord-Eclair relatant le procès a quelque chose de jouissif : " Un anarchiste relaxé et un policier débouté ".
Mais cest surtout une victoire de la solidarité et du mouvement social. Il nous faut ici remercier le plus chaleureusement possible toutes les personnes et organisations qui ont apporté leur soutien à Christophe. Remercier celles et ceux qui ont signé et renvoyé les pétitions et apporté un soutien financier qui na jamais fait défaut. Dautres procès ont lieu, le 17 à Montpellier pour un militant du Comité de Chômeurs tabassé et interpellé lors dune réquisition de logement, mais aussi le 22 à Clermont-Ferrand En attendant ceux de Radio libertaire et du Monde libertaire. Lactualité judiciaire reste décidément lourde pour les défenseurs de la liberté et de l'égalité.