Le texte qui suit nous a été transmis par léquipe de « Parloir libre » (Fréquence Paris plurielle). Après la pétition des prisonniers de Bois-dArcy et le Manifeste des détenus de Moulins-Yzeure pour le parloir intime, en 1997, cest toute une réflexion que le collectif de Saint-Maur lance sur la place publique.
La Garde des Sceaux continue à réfléchir sur les Unités de visites familiales. Ainsi que le rappelle Jean Favard, conseiller à la Cour des cassation, « la réflexion ayant déjà eu lieu depuis longtemps, il me semble que cest la réalisation du projet quil conviendrait maintenant de poursuivre. » (Dedans-dehors - mai 1998).
Le lobby des surveillants veille : non à la sexualité en prison. Suit un discours fumeux sur le proxénétisme, le retour des maisons closes, la dignité des surveillants et comble dhypocrisie, celle des prisonniers. Ces derniers nous rappellent quils sont toujours enfermés. Leurs droits sont bafoués. Le texte du Collectif de la Centrale de Saint-Maur est un implacable constat de la réalité. Il est important que les anarchistes et les militants de la lutte anticarcérale en prennent connaissance.
Le débat est ouvert. Il se poursuit. Il sera particulièrement intéressant de connaître le point de vue des détenus de lensemble des établissements pénitentiaires. Et, en tout premir lieu, des centrales de Haute sécurité comme Clairvaux, Moulins-Yzeure et Lannemezan.
Ras les murs
Démocratie : la France est un pays dit démocratique. La démocratie, ça sapprend en la pratiquant. En prison, apprend-on la démocratie en la pratiquant ? Non, car sorganiser et élire des représentants est interdit.
Santé : dun point de vue démocratique, le droit à la santé est universel. Sur tout être vivant qui ne réagirait pas énergiquement, lenfermement dans lenfermement que constituent mitard et quartiers disolement, enfermement où linfini du désir et la finitude des choses se heurtent et sannulent.
Pour ce qui est des soins, il est à noter que, depuis que le secteur médical est passé sous le contrôle du ministère de la Santé, ne se sont pas produits les changements attendus. À Saint-Maur, il y a des cas de négligence dans le suivi médical, des prisonniers étant obligés den appeler à lI.G.A.S. pour que leur état soit pris au sérieux (le vendredi 2 avril 1998, un prisonnier a eu une crise cardiaque à latelier de verrerie. Il était mort quand, plus dune demi-heure plus tard, le S.A.M.U est intervenu. Entre-temps, le personnel de linfirmerie avait refusé de se déplacer).
Solidarité : la solidarité est pour une société un facteur dunité, de cohésion. On en parle beaucoup dans les médias. Mais en prison, la solidarité se heurte au règlement. Prêter ou donner un objet peut-être loccasion de litiges avec ladministration.
Ainsi, lautorisation de téléphoner est délivrée sous réserve dachat dune carte téléphonique. Si lon sen tient au règlement, on ne peut dépanner en carte un camarade démuni. Linégalité économique devient réglementaire. On note au passage que le prisonnier propriétaire dun bien ne peut en disposer librement, alors même quil est en prison pour atteinte à la propriété dautrui.
Responsabilité : cest bien parce quun individu est considéré comme responsable en ce qui concerne la conduite générale de sa vie quil peut être jugé pénalement responsable dans une circonstance précise.
Or, la pénitentiaire considère le prisonnier, sauf sur le plan pénal, comme un individu en permanence irresponsable. Et elle le traite comme tel.
En réponse à la question : la pénitentiaire prépare-t-elle le prisonnier à devenir plus responsable quil ne létait en prison ? Voici un aperçu de la situation actuelle à Saint-Maur.
Exclusion : les détenus sont exclus de tout contrôle en ce qui concerne la gestion financière de la centrale. Par exemple, le budget et le bilan de lassociation qui fonctionne avec largent des détenus leur sont inconnus.
Restrictions : elles se multiplient ces derniers temps : conditions daccès au téléphone, nombre de parloirs hebdomadaires, conditions dentrée et de sortie de linge et de livres, plafond et provenance des mandats (y compris ceux dorigine familiale), conditions de démission du travail, menaces de diminution de la paie ou de licenciement en cas de malfaçons. Jusquà la suppression de leau de javel en cantine sous le prétexte quune dose gratuite, mais insuffisante, est fournie une fois tous les quinze jours.
Répression : les directeurs changent, mais la répression demeure le mode décisif de règlement des conflits entre administration et prisonniers. Les agents les plus répressifs se savent couverts par la direction et la direction par le ministère. Largument final cest encore et toujours le mitard ou le quartier disolement. Il arrive même quun prisonnier soit traduit devant le tribunal correctionnel pour un fait mineur.
Suspicion : confronté à une multiplicité dinterdits et de restrictions, le prisonnier est soupçonné en permanence dêtre sur le point ou en train de commettre une infraction.
Infantilisation : en le plaçant en permanence en position de demandeur, pour le moindre détail, la pénitentiaire vise à son infantilisation, donc à son humiliation.
Division : le premier but de la pénitentiaire, ce nest pas léducation civique. Le premier but de la pénitentiaire, cest de diviser les prisonniers pour mieux régner sur les prisonniers.
Un prisonnier qui ne réagirait pas contre ce fonctionnement deviendrait un individu prêt, en toute circonstance, à se soumettre devant plus fort que lui (prototype du collaborateur en période doccupation).
Dans limmédiat, suggestions :
La question du travail est une question centrale dans lorganisation et le fonctionnement de la société. Cest ce que proclament hommes politiques de tout bord, patronat, et syndicats. Dans les prisons françaises, le travail est sous-payé comme dans le tiers monde. Ce qui entraîne ? Conséquences :
La seule solution est une paie décente sur la base : à travail égal, salaire égal.
Dans limmédiat, suggestions :
Les droits des travailleurs en prison doivent être calqués sur ceux de lensemble des travailleurs. Cest la meilleure voie pour reprendre pied dans la société.
À lère de la communication, satellites et portables sont réputés favoriser le développement de léconomie et améliorer la qualité des relations humaines.
Dans le même temps, la pénitentiaire limite les relations des prisonniers avec leur famille et leurs amis et préfère y substituer léventuel recours aux psychologues et psychotropes.
À Saint-Maur :
Dans limmédiat, suggestions :
Ce nest pas en étant coupé de la société que le prisonnier peut se préparer à la rejoindre. Seule la multiplication des contacts, déchanges didées, ly prépare, chaque contact constituant une simulation concrète de sa réintégration sociale à venir.
La question de la durée de lemprisonnement concerne et les prisonniers et la société. Plus longtemps un être humain est coupé de la société, plus y reprendre pied est difficile pour lui. Face à lincertitude sur son avenir, inertie et torpeur deviennent des moyens de survie contradictoires avec les exigences, le rythme de la vie contemporaine.
Pour réduire les effets négatifs de la séparation davec la société, des mesures-passerelles sont nécessaires, avant que la société ne produise une réflexion nouvelle sur la question de la peine.
Dans limmédiat, suggestions :
Ce nest quen sapprochant des conditions réelles de la vie en société que lon se prépare de manière réaliste à la vie en société. On chemine en cheminant et non en demeurant immobile.
De même : on napprend pas la démocratie au contact quotidien de son contraire ; on napprend pas le respect du travail en nétant pas respecté dans ses conditions de travail ; on ne se prépare pas au retour dans la société en demeurant maintenu en marge de la société.
En France, la pratique pénitentiaire, loin des discours, devrait inquiéter les politiques, à commencer par les socialistes. Car la prison nest pas un point de détail de la société, elle en est le reflet.
Saint-Maur à contre-courant : à la Centrale de Saint-Maur, où les mesures prises ces dernières semaines vont dans le sens de la régression des droits du prisonnier, on ne prépare pas le prisonnier à devenir un citoyen de son temps. La France et lEurope de lan 2 000 se veulent sociales. Il serait donc temps que la pratique pénitentiaire soit mise en rapport avec le discours qui la dissimule.
Cela en attendant que se réalise le rêve de tout prisonnier et, dans le fond, de tout citoyen, lémergence dune société où la prison soit devenue aussi inutile que le port dembarquement des esclaves de Gorée.