Pendant
la campagne des législatives de mai 1997, les socialistes ont affirmé vouloir mener une
" autre politique ". Vous me direz, cest bien le minimum que lon
peut attendre dune opposition. Mais au-delà de cette affirmation convenue, ils
cultivaient le flou tout en prêchant la patience : " de petits pas certes mais sur
le bon chemin
". Leurs alliés de la gauche plurielle jouaient le jeu, fourbissant
leur rôle " daiguillon " pour se faire mousser sur la scène du pouvoir.
Contrairement à leffet dannonce de mesures symboliques et compréhensibles par tous, la préparation du budget de l'État est un long marathon qui parait technique et peu politique. Pourtant, cet exercice est riche denseignements. Il permet de cerner la logique de la politique gouvernementale.
Pour le budget 1998, dessiné au cours de l'été 1997, la gauche au pouvoir pouvait avancer des alibis de circonstance. Sil ne portait que très partiellement la griffe " gauche plurielle ", Jospin et consorts pouvaient prétendre avoir été pris de cours par la dissolution Il nen va pas de même du budget 1999 dont l'ébauche vient d'être présentée, le 9 septembre, devant la commission des finances du Parlement. Même de l'étroit point de vue " gestionnaire " commun aux politiciens de gauche comme de droite, de réelles marges de manuvres budgétaires existent : 54 milliards de francs de recettes nouvelles sont attendues en 1999 (74 milliards si lon intègre la hausse des prix).
En effet, et ce malgré la crise qui frappe durement lEst asiatique et la Russie, les perspectives de croissance demeurent bonnes, tirées par une forte demande en Europe et aux États-Unis. Dans ce contexte, la gauche plurielle saisit-elle loccasion de mettre en pratique la " nouvelle politique économique " quelle appelle de ses vux ? Au risque de décevoir les naïfs, la réponse est bien évidemment non.
Souvenons-nous quen 1993, le P.S. avait vivement reproché à Balladur de donner purement et simplement, sans la moindre contrepartie, 95 milliards de francs au patronat, sous la forme de la suppression du délai dun mois dans les remboursements de la T.V.A. Or, dans le budget 1999, les quelques mesures prises en faveur des ménages sont purement symboliques, particulièrement pour les plus modestes (1). Pour le patronat, en revanche, l'heure est à la générosité.
Pour la seule année 1999, lallégement de taxe professionnelle (TP) portera sur 7,2 milliards de francs, à quoi il faut ajouter 5 autres milliards liés au fait que la majoration exceptionnelle de limpôt sur les sociétés (IS) sera ramenée, en 1999, de 15 % à 10 %. De plus, le gouvernement a annoncé que la baisse de lIS serait amplifiée en lan 2000 et celle de la TP durant quatre ans, lallégement fiscal global pour ces deux prélèvements devant atteindre au total près de 40 milliards de francs (2). Tous ces cadeaux saccompagnent bien évidemment dune absence totale de contrepartie, le gouvernement de gauche se fiant pleinement au grand cur légendaire du patronat français
Après linsignifiante hausse du SMIC en juillet et lannonce de lindexation des retraites en 1999 sur la hausse des prix (3), ce projet de budget démontre à nouveau que la gauche plurielle souhaite maintenir une politique libérale daustérité, évidemment pas pour tout le monde, et ceci malgré les profits florissants quaffichent les grandes entreprises.
Dans le jeu de rôle que pratique la gauche plurielle, le P.C.F. a bien sûr sa petite musique, affirmant par la voix dAlain Bocquet que " le projet de budget pour 1999 manque de lambition sociale que devrait avoir le premier budget de la gauche ". Mais les critiques communistes restent modérées ; Jospin a été suffisamment habile pour leur donner un os à ronger : un relèvement symbolique de limpôt sur la fortune (4). Dailleurs, le P.C.F. semble avoir bien du mal à définir une " ligne " politique, le député Christian Cuvillez, membre de la commission des finances, jugeant ce budget " socialement à gauche "
Du côté des Verts, ceux-ci sont beaucoup plus discrets. Pour les satisfaire, Jospin sest contenté de les " acheter " en augmentant de 15 % lenveloppe du ministère de lenvironnement. Pour tous les politiciens de la gauche plurielle, lenjeu réel est ailleurs. Toute leur attention est déjà focalisée sur la préparation de la prochaine échéance électorale, les européennes de juin 1999.
(1) Essentiellement, la baisse à 5,5 % de la T.V.A. applicable aux abonnements EDF-GDF, la gratuité des cartes didentité et la suppression de la taxe dexamen pour lobtention du permis de conduire, le tout pour un montant cumulé estimé à 5,2 milliards de francs.
(2) Pour comprendre limportance de ces " petits cadeaux ", rappelons que limpôt de solidarité sur la fortune, alibi fiscal de la gauche, na rapporté que 8,9 milliards en francs en 1996
(3) Lindexation sur les salaires est plus favorable pour le pouvoir dachat des retraités
(4) Selon les prévisions du gouvernement, " la lutte contre l'évasion fiscale des grandes fortunes et le relèvement du taux maximum dimposition de lISF " devrait rapporter 2 milliards de francs supplémentaires. En réalité, cette hausse du rendement prévisible de lISF sexplique essentiellement par deux effets mécaniques : le haut niveau des cours de la Bourse et larrêt de la baisse des prix de limmobilier.