Face à la mobilisation pour la régularisation des sans-papiers qui sest poursuivie dans l'hexagone pendant l'été, le gouvernement souffle le chaud et le froid. Il allège par deux nouvelles circulaires les critères de régularisations, mais continue dexpulser et de sen prendre aux soutiens des immigrés en lutte.
Le recul actuel du gouvernement nest pas étranger à limportante mobilisation qui a marqué lactualité de cet été : Les occupations du temple des Batignolles, de la nonciature du pape, du siège du Parti socialiste (voir Monde libertaire n° 1130, p.3). Le soutien inattendu du Vatican, de la gauche morale et humanitariste mobilisée par le réseau L.D.H. (Ligue des droits de l'homme) et la médiatisation ont placé lentourage ministériel de Jospin à se positionner pour une révision des critères de régularisation (M. Aubry, C ; Trautman, D. Voynet ).
Parallèlement, les déclarations démagogiques et tactiques de Charles Pasqua en faveur dune régularisation globale de tous les sans-papiers qui en ont fait la demande, situait la gauche plurielle en porte à faux. La position bornée et inflexible de Jospin ne peut se comprendre jusque là quen se plaçant dans la perspective des élections européenne de 1999 et présidentielle de 2002. La gestion des crises et mouvements sociaux restant on ne peut plus classique pour le gouvernement. Il lui suffit de céder un peu lorsque le rapport de force augmente pour mieux bloquer quand il se calme. Dans cette logique, le ministère de lintérieur a adressé aux préfets, au cours des deux dernières semaines daoût, deux circulaires allégeant les critères de régularisations.
Ces circulaires doivent leur naissance à la commission consultative créée mi-juillet et présidée par le conseiller d'État J.M. Galabert (P.S.). La création de cette commission par le ministère de lIntérieur est un superbe piège politique dans lequel est tombé entre autre la L.D.H. Légitimé par un appel dintellectuels et de personnalités parmi lesquelles P. Bourdieu et E. Balibar, il fait lobjet dun consensus assez large dans lequel le P.C.F inscrit son adhésion sans subtilité. Jusquici laissé à la discrétion des préfets, cette commission a assoupli les critères de régularisation définis par la circulaire Chevènement. Ces deux circulaires sinscrivent dans une logique de régularisation au cas par cas. La circulaire du 15 août corrige cinq points à lorigine de nombreux refus : La nature des ressources des sans-papiers depuis le début de leur séjour, lacquittement des obligations fiscales, le traitement des couples sans enfants, la durée et continuité des séjours et lexistence dune période de séjour en situation irrégulière.
La deuxième circulaire concerne les points suivants : les étrangers malades, les conjoints français, les jeunes entrés hors regroupement familial, les parents nés après lentrée en vigueur de la circulaire du 26 juin 1997, les personnes frappées dinterdiction du territoire (le Monde 16-17août et 23-24 août 1998).
Malgré cela, les réponses aux recours auprès des préfets ou du ministre de lIntérieur sont toujours formulées de la même manière ; " fautes d'éléments nouveaux, votre recours est rejeté ". Avec cynisme, les arrêtés de reconduite à la frontière (APRF) arrivent par centaines tous les jours.
Le paradoxe, cest quun sans-papier peut recevoir ses refus (préfecture, ministère) et en même temps être convoqué, dans le cadre de la nouvelle loi, pour recevoir sa carte de résidence dun an. Ce jeu administratif particulièrement subtil est politique. Il consiste à faire croire à certains que le gouvernement a voté une loi dite Chevènement favorable à la régularisation des sans-papiers.
Bien que les circulaires daoût invitent les préfets à réexaminer le cas de 70 000 déboutés, lestimation et lannonce par le ministère de lintérieur de 10 000 à 15 000 régularisations supplémentaires doit être prise pour ce quelle est : une supercherie. En toute évidence, ces régularisations auraient dû l'être par lapplication des circulaires ! Le ministère poursuit sa logique. Les circulaires ont été volontairement appliquées de manière restrictive pour permettre à Jospin de faire croire à une gestion plus conforme à une politique de gauche, alors que Chevènement déclarait que " lultragauche et lextrême droite ", seuls daprès lui à faire du problème des sans-papiers un enjeu politique, se mettent " hors du champ républicain ". Il signifie ainsi que le débat est clos.
Il se prépare pour la rentrée une répression évidente contre les mouvements de soutien et de lutte. Malgré les tentatives de divisions intentées avec lassouplissement factice des critères de régularisation, la recherche dun interlocuteur unique par le gouvernement est rendu impossible par la multiplicité des collectifs et de leurs choix stratégiques. Seule la volonté des sans-papiers de conserver leur autonomie rend possible sur le long terme une lutte difficile à cerner par le pouvoir. Plus que jamais un second souffle est nécessaire pour une régularisation immédiate et totale à partir dune refonte de lordonnance de 1945 sur limmigration permettant la libre et entière circulation des personnes à travers les frontières.