Il était une fois un rebelle, un fils du peuple qui voulait changer le monde. En ce temps là, le Parti communiste français avait fait main basse sur lespoir et cest tout naturellement vers lui que le petit plombier-zingueur parisien Gérard Lorne dirigea ses premiers pas. Est-il besoin de le préciser, notre nunuche politique, version Gavroche au pays du stalinisme, sy comporta en rebelle.
L'heure était, dans la clandestinité, à essayer, via des revues comme " la Voie communiste ", de " réformer " le monstre. L'heure était également à prendre ses responsabilités par rapport à l'histoire et à endosser le bleu de chauffe de laction. Aussi, quand au milieu des années cinquante le peuple algérien se mit en tête de secouer le joug colonial que la France lui imposait depuis presque deux siècles et d'habiller ce combat de la gandoura socialiste, notre rebelle n'hésita pas longtemps.
Contre lopinion du P.C.F., qui était alors contre lindépendance de lAlgérie, il décida daider la révolution algérienne et le F.L.N.
En accueillant des militants en délicatesse de , en prêtant son appartement pour , en rendant les mille et un " petits " services quont toujours rendu les " fourmis rouges prolétariennes " du portage de valise Et il le paya cher. Très cher !
Le Parti communiste français lexcommunia en lui taillant le costume " hitléro-trotskiste-petit-bourgeois " habituel. La police française larrêta après avoir trouvé chez lui le " trésor " du F.L.N. (44 millions de l'époque). La bourgeoisie française et sa justice le condamnèrent à vingt ans de prison pour
En ce temps là les chemins buissonniers de lengagement politique était pleins de ronces acérées ! Et pour Gérard Lorne ce n'était que le début du chemin. À la faveur dune permission de sortie pour rendre visite à sa gamine qui était au plus mal (elle avait la maladie " du sang bleu " et avait une espérance de vie extrêmement réduite), il prit la poudre descampette et gagna le Maroc où le F.L.N. bénéficiait de l'hospitalité du tout nouveau royaume chérifien indépendant.
Sans moyens aucun, sans davantage dargent, Gérard Lorne sattela à monter de toutes pièces un collège technique dun genre un peu particulier. Et il réussit ce challenge.
Des rencontres de tous ordres avec les militants algériens, des personnalités comme Yasser Arafat ou le chef trotskiste Pablo qui avait pris en main lachat et la fabrique darmes pour le F.L.N., des discussions sans fin sur la révolution, le socialisme, lavenir, des actions tous azimuts, émaillèrent bien évidemment ce séjour au Maroc et lui firent comprendre que lavènement de lindépendance algérienne, fut-elle drapée dans le manteau de lumière du socialisme, n'était pas exempte des tares ordinaires de la lutte pour le pouvoir.
Bref, le rebelle commença à prendre de la distance par rapport à , remit une fois de plus son ouvrage sur le métier et arpenta de nouveau les chemins de lexil. Au Maroc, en Tchécoslovaquie (Gérard Lorne, comme par hasard, était à Prague lors du printemps de 1968), en Amérique latine Jusqu'à ce que la prescription opère et quil puisse de nouveau fouler le sol français.
C'était il ny a pas si longtemps. Et cest avec armes, bagages, famille et toujours ses foutues idées quil vint sinstaller en Ariège du côté de Saint-Girons. Il acheta des ruines. Il les remit en état. Il sy installa en communauté familiale et il mit en branle un des premiers lieux de vie (Thélème) accueillant des toxicos.
Il sy usa une nouvelle fois lespoir sur la pierre ponce de la réalité et il reprit sans hésiter son courage à deux mains pour, une fois de plus, une fois encore, remonter son rocher d'éternel rebelle sur la colline (que certains disent absurde) de Sysiphe. Aujourd'hui, il promène son regard clair de vieux Gavroche partout où ca bouge un peu en Ariège et ailleurs. Et cest peu dire, quorgue de barbarie aidant et engagement libertaire de tous les instants (il se dit même ici et là, alors que ce nest bien évidemment pas vrai, quil est à la Fédération anarchiste), le bougre continue de faire des ravages.
Ce livre, pudeur de lauteur oblige, nous conte tout cela (ce parcours rare du P.C.F. à lanarchisme, en passant par le portage de valise, les communautés, les lieux de vie ) dans le cadre dun roman historique plus vrai que nature.
Lisez ce bouquin. Cest une fresque historique remarquable. Cest un voyage étonnant dans les culs de basse fosse de lescroquerie du siècle (Marx et crève !). Cest plein d'humour et de gravité. Cest pas mal torché du tout. Et cest le premier livre dun jeune homme de presque 70 ans qui ne nous livre rien dautre quun formidable message despérance. Celui dune vie rouge de hasard mais noir de cur et désormais de conviction.
Du noir au Rouge. Gérard Lorne. éditions du Monde libertaire. 250 pages, 60 F. En vente à la librairie du Monde libertaire, 145 rue Amelot, 75011 Paris