Après les élections en Allemagne, la gauche social-démocrate se trouve à la tête de onze gouvernements européens. Dans lUnion européenne, les quatre pays qui comptent économiquement et politiquement, lAllemagne, lItalie, la France et la Grande-Bretagne, sont désormais dirigés par une majorité de gauche.
Une domination politique dune telle ampleur nest pas le seul fait du hasard. Bien sûr, lalternance a joué, au moins pour Blair et Schröder, après respectivement 18 ans et 16 ans de droite au pouvoir. Dans un autre registre, le Front national handicape indéniablement la droite française. Mais, au-delà, dautres facteurs fondamentaux, sociaux et politiques, méritent d'être soulignés.
Cet affaiblissement politique de la droite pourrait bien être structurel. En France, une enquête de la S.O.F.R.E.S., publiée après les élections régionales, mettait en lumière le rétrécissement de son assise sociologique traditionnelle. Entre 1986 et 1998, le vote pour la droite sest littéralement effondré chez les cadres supérieurs, passant de 56 % à 35 %, au profit du Parti socialiste. Ceci tend à démontrer que le P.S. saffirme progressivement comme le parti de lestablishment. En Europe, cette évolution semble générale.
Incontestablement, la gauche ne fait plus peur aux classes dirigeantes. Ralliée au libéralisme, le pôle social-démocrate devient en Europe lincarnation de " lidéologie " dominante. En prenant un peu de recul historique, cette capitulation intellectuelle de la gauche traditionnelle parait impressionnante : comparé à Jospin, pour ne pas parler de Blair ou de Schröder, même Léon Blum était un " révolutionnaire ".
Ce ralliement à la gauche dune importante fraction des couches sociales dominantes doit aussi beaucoup à un phénomène de génération. La cinquantaine venue, les post-soixante-huitards arrivent aux commandes. Moins imprégnés de rigorisme moral que leurs aînés, ils se sentent plus proches dune Voynet qui a tiré sur des joints que dun démocrate-chrétien coincé à la mode Bayrou.
Aujourd'hui, plus généralement, la force électorale de la gauche vient de sa capacité à drainer les votes de nombreuses catégories sociales, laissant essentiellement à la droite les retraités, les commerçants, les artisans ou les paysans. En Allemagne, en Italie, laspect " gauche plurielle " renforce encore cet aspect attrape-tout.
Menant une politique libérale qui convient parfaitement au patronat, elle parvient néanmoins, malgré un taux dabstention croissant, à conserver la majorité de son électorat populaire traditionnel qui, faute dune alternative non-électoraliste crédible, se retrouve en quelque sorte captif.
Des relais privilégiés Pour le patronat, la gauche ne manque pas dattraits. Docile, elle bénéficie de surcroît de relations privilégiés avec les responsables syndicaux. Souvent, ces relais peuvent se révéler fort utiles.
Noublions pas quen France, cest un gouvernement socialo-communiste qui a su imposer une politique daustérité dès 1982-83. En Grande-Bretagne, Blair sest illustré en contraignant les chômeurs à accepter nimporte quel emploi ou stage qui leur serait proposé sous peine de perdre tout droit aux allocations. De son côté, le gouvernement Prodi a réalisé des coupes dans les budgets sociaux sur une échelle jamais approchée en Italie.
Dans ce paysage, Schröder ne devrait pas dépareiller. Le futur ministre du Travail et des Affaires sociales devrait être un certain Walter Riester, numéro deux du syndicat de la métallurgie IG Metall. Espèce de Notat allemand, Riester est membre du conseil de surveillance de trois grands groupes industriels, Thyssen, Audi et Daimler-Benz. Sous l'ère Kohl, un " Pacte pour lemploi ", élaboré conjointement par le gouvernement, le patronat et la confédération syndicale DGB, prévoyait des allégements de charges sociales et le gel des salaires contre la vague promesse de créations demplois de la part du patronat.
Ce " Pacte " avait finalement avorté. Notons que, du côté syndical, Riester avait été lun des principaux défenseurs de ce " Pacte ". Sur ce terrain, il ne manquera certainement pas de se remettre à louvrage.