Avant l'émergence du mouvement lycéen, la rentrée sociale dans l'éducation paraissait bien sombre. Au-delà des querelles de chiffres, les journées de grèves du mois de septembre à lappel de la F.S.U., le syndicat majoritaire, ont été médiocrement suivies. Estimant ce moyen daction largement inefficace, les enseignants ont de plus estimé quelles étaient sans réel enjeu.
Après la grève du 24 septembre, la direction du S.N.E.S., composante de la F.S.U. regroupant les enseignants du secondaire, en plein désarroi, a proposé à ses adhérents denvoyer une pétition à Matignon sollicitant la " protection " de Jospin contre Allègre et demandant au Premier ministre " de prendre toute mesure visant à mettre un terme aux attaques et outrages dont ils sont lobjet ". Heureusement pour les dirigeants du S.N.E.S., le ridicule ne tue pas mais les perspectives dune telle initiative sont bien évidemment nulles.
Pis, elles soulignent les illusions que ses auteurs entretiennent sur la gauche au pouvoir en général et sur Jospin en particulier. Homme de confiance et ami personnel du Premier ministre, Allègre ne joue pas solo. Bien au contraire, Jospin lui a confié une difficile mission sur laquelle se sont cassés les dents tous les ministres de l'Éducation depuis une quinzaine dannées : attaquer progressivement le statut des enseignants tout en favorisant l'éclatement du service public d'éducation pour accentuer sa soumission aux besoins du patronat.
Pour mener à bien cette mission de longue haleine, Allègre ne part pas dans linconnu. Ces " dérapages " verbaux à répétition ne sont pas des accidents, ils participent au contraire dune stratégie. Allègre joue " lopinion publique " contre les enseignants. Sa partition est connue, il reprend à son compte et cherche à renforcer les pires préjugés sur les fonctionnaires, " des privilégiés incompétents et absentéistes ", qui existent incontestablement dans une partie de la population.
Deuxièmement, il tente de tirer parti des divisions syndicales, attaquant frontalement le S.N.E.S. tout en essayant dobtenir les bonnes grâces de la F.E.N. ou même dautres composantes de la F.S.U. Parallèlement, et ceci malgré son impopularité record chez les enseignants, il tente dattirer loreille dune partie dentre eux en soulignant démagogiquement les incontestables lourdeurs de la gigantesque machine bureaucratique quest l'éducation nationale.
Troisièmement, Allègre pratique un travail de sape méthodique. En multipliant les emplois-jeunes, il favorise l'éclatement des statuts tout en introduisant dans la forteresse Éducation nationale des dizaines de milliers de salariés précaires et payés au smic. Parallèlement, il remplace sur de nombreux postes des MA, maitres-auxiliaires, par des contractuels dont le statut est encore bien pire. Pour ce qui est des anciens MA nouvellement titularisés après avoir réussi un concours spécifique, ils seront rémunérés grâce aux transferts de crédits jusque là attribués à des postes de surveillant, qui sont naturellement supprimés.