Michel Auvray, auteur dune " Histoire des réfractaires en France. Objecteurs, insoumis, déserteurs ", (Éditions Stock, Paris 1983), vient de publier un nouvel ouvrage portant comme indiqué en sous titre sur l'histoire du service militaire et sur les mythes associés.
Cest le samedi 3 octobre dernier qua été lancé lA.P.D. (Appel de Préparation à la Défense), substitut au service national, ne concernant pour linstant que les jeunes garçons avant d'être, comme prévu dans les dispositions législatives, étendu aux jeunes filles. Jacques Chirac a profité de loccasion pour se présenter comme l'homme qui a aboli le service militaire et Lionel Jospin est allé raconter ses souvenirs de " bidasse " dans une caserne.
Cest donc à point nommé que sort le nouvel ouvrage de Michel Auvray. La mort du service militaire, bien quannoncée depuis fort longtemps, a été longue à venir et la mise en place de lA.P.D. est emblématique de ce que lauteur nous présente comme lexception française. La France est, en effet, le seul pays, parmi ceux où la conscription a été abolie, a avoir éprouvé la nécessité de lui créer un substitut, comme si le sevrage était trop difficile.
Ceux et celles qui ont lutté et luttent encore contre linstitution militaire ont pu mesurer combien la conscription était ancrée profondément dans les moeurs sociales et politiques ainsi que dans limaginaire collectif de nos concitoyens.
En 1989, le congrès de la Fédération anarchiste, réuni à Rennes, adoptait une motion prenant formellement position pour labolition de la conscription.
Les réflexions de M. Auvray n'étaient pas étrangères à cette volonté affirmée, bien dans la logique dun antimilitarisme à la fois militant et idéologique. Les réticences, parfois même la gêne, que nous avons eu à affronter en faisant campagne pour labolition de la conscription nous ont conduit à nous poser bien des questions. Cest à ces interrogations que Michel Auvray veut se (nous) donner les moyens de répondre. Pour cela il était nécessaire de mener un solide travail d'étude et danalyse chronologiques du service militaire à travers les âges. Cette mise en perspective historique na de sens, cependant, que si elle se double dune étude sociologique, voire même psychanalytique des rapports entre les citoyens et linstitution. Sappuyant sur une documentation étendue, lauteur jalonne son parcours en passant au crible tous les mythes et les rites associés à un service armé qui évolue sans cesse en fonction des enjeux militaires, stratégiques et politiques du moment.
Cest une véritable autopsie sociale qui est ainsi opérée sur le cadavre encore tiède du Service national. Larmée étant, comme on dit, " l'école du crime ", il était normal de procéder de la sorte. On sent chez notre " chirurgien de service " une jubilation certaine à disséquer ainsi linstitution mangeuse d'hommes.
Rien d'étonnant à cela puisque Michel Auvray a été objecteur puis insoumis, comme il prend soin de le préciser dans lintroduction de son ouvrage. Cest fort davoir annoncé la couleur, davoir précisé " Le lieu dou lauteur "parle" quil peut se livrer à une analyse politique du phénomène étudié. Le grand intérêt de cet ouvrage, est quil nous apporte des éléments pour démêler l'écheveau, pour décrypter les rébus. Mythes et légendes sont en effet constamment entretenus par les politiciens de tous bords pour mieux servir leurs intérêts au gré des changements économiques, stratégiques, idéologiques et des revirements électoralistes. Et quand il sagit de nous éclairer sur les discours des uns et des autres dans ce domaine, notre " politologue de service " sen donne à coeur joie : les législateurs de tous poils en prennent chacun pour leur grade sans exception ni exemption !
Exception française ou pas il est clair que nous vivons la fin dune époque : l'heure de la mort du service militaire a sonné un peu partout, le siècle à venir débutera sous la botte des armées de métier. La conclusion de L'âge des casernes sintitule " Le citoyen et le soldat ". Lauteur y finit de tordre le coup au formidable vecteur de collaboration de classe que fut la conscription. Outil à fabriquer du consensus au service de l'État, elle " na jamais été instituée, puis développée, que pour des motifs deffectifs, des considérations budgétaires, dans un souci dencadrement social. [ ] Aujourd'hui son déclin est général. "
Cette disparition na pas suscité d'émotion et encore moins de réactions au sein dune population quon aurait pu croire plus attachée à cette institution. Elle a cependant ravivé de vieux débats notamment celui qui consiste à opposer larmée de métier à larmée de conscription, prêtant à cette dernière des vertus populaires et démocratiques.
Michel Auvray remet les pendules à l'heure en passant en revue les sales coups, les sales guerres commises avec la même efficacité, la même barbarie par des soldats professionnels ou amateurs. Une occasion de rappeler que le véritable problème nest pas le mode de recrutement mais larmée elle-même, ce chien de garde du pouvoir, avec au bout du fusil, la guerre.
Après avoir réglé le compte du mythe de larmée populaire, lauteur fini par ces mots : " Lobligation de servir par les armes et sous les armes une fois disparue, il est loisible de caresser lespoir que souvre une ère nouvelle des relations entre gouvernants et gouvernés ".
Moins énigmatique, je vous invite à dévorer cet ouvrage et à y puiser tout larsenal qui sy trouve concentré pour en finir un jour avec une société qui ne conçoit la vie que dans le cadre oppressant de relations du type gouvernant-gouverné, ou commandant-soldat pour être plus précis.
Michel Auvray. L'åge des casernes. Histoire et mythes du service militaire. 328 p. 140 F. En vente à la librairie du Monde libertaire.