Lycéens en lutte

Allègre : le mépris

Classes surchargéesLe gouvernement en général et Allègre en particulier jouent serré. 200 000 manifestants le 13 octobre, 500 000 le 15 et à nouveau 300 000 le 20, la contestation lycéenne a pris une bien dangereuse ampleur. Après la trêve forcée des vacances de la Toussaint, la braise pourrait bien reprendre. Ils le savent mais parient cyniquement sur l’essoufflement. En guise de réponse aux revendications lycéennes, le ministre de l'Éducation nationale délivre essentiellement de la poudre aux yeux.

Au printemps dernier, la Seine-Saint-Denis s’embrasait. Après cet avertissement pourtant sévère, Allègre n’a rien changé. Ces dernières semaines, avec les lycéens, le foyer s’est étendu à la France entière, jusqu'à gagner de petites villes traditionnellement plutôt calmes, mais Allègre continue comme si de rien n'était. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. La gauche au pouvoir croise les doigts. Jusqu’ici, tout va bien…

Lycéens méprisés

Allègre prend les lycéens pour des imbéciles. Ils sont en grève. Ils se plaignent d'être traités comme du bétail, entassés dans des classes surchargées. Mais ils ne connaissent pas les " bonnes statistiques ". Ton docte et hautain, Allègre se charge de leur les fournir, les lycéens ne sachant pas compter…

Cette attitude méprisante semble chez lui être érigée au rang de méthode. Au printemps dernier, il a fait mine d’organiser une grande consultation nationale des lycéens. Vaste fumisterie, tout était déjà décidé avant même de commencer. La diversité des réponses a été gommée, les résultats ont été traités et surinterprétés dans le sens qui arrangeait Allègre. Puis, il a prétendu en tirer une réforme prétendument conforme aux aspirations des lycéens.

Tous n’ont pas avalé cette mascarade. Interviewé, un lycéen de Chelles a été clair : " À lire les questions, on nous prenait pour des imbéciles. On l’a rempli en rigolant, tellement c'était ridicule. Et après, ils font un colloque avec ça. Mais ce sont nos cahiers de doléance qu’il faut faire remonter. "

Aujourd'hui, Allègre persiste à prendre les lycéens pour des gamins. D'énormes manifs contestent sa politique. Il affirme le contraire et prétend même s’appuyer sur ce mouvement pour accélérer la mise en place de sa réforme. Dans un grand quotidien, un représentant de la coordination d’action lycéenne de Grenoble n’est pas dupe : " On nous attribue des revendications qui ne sont absolument pas les nôtres. J’entends parler d’allégement de programmes. Or, dans nos manifestations, je n’ai jamais vu de banderoles sur ce thème ! ".

Récupération politicienne

Pour tenter de parvenir à ses fins, Allègre bénéficie d’un allié providentiel, la F.I.D.L. Sans représentativité réelle, cette " Fédération indépendante et démocratique des lycéens " est purement et simplement une émanation de la Gauche socialiste. Créée en 1987, à partir des comités jeunes de SOS-Racisme, suite à la vaste grève contre la loi Devaquet, la F.I.D.L. a été à l'époque conçue dans le seul objectif de pouvoir jouer le rôle d’interlocuteur privilégié du pouvoir lors d’un prochain mouvement lycéen.

S’appuyant sur les moyens militants et financiers du syndicat étudiant U.N.E.F.-I.D. dont la Gauche socialiste a pris le contrôle, la F.I.D.L. tente de surfer sur la contestation lycéenne, créant de toutes pièces une coordination à sa botte et bénéficiant d’un quasi-monopole médiatique. Rompue aux basses manœuvres et aux pires magouilles, la Gauche socialiste applique au mouvement lycéen ses méthodes habituelles.

À mille lieux des préoccupations lycéennes, la F.I.D.L. inscrit son action dans la logique politicienne de la Gauche socialiste. Ce courant, absent du gouvernement et relativement marginalisé aujourd'hui dans le P.S., se sert actuellement du mouvement lycéen pour donner des gages à Jospin, montrant son utilité tout en espérant obtenir un certain retour en grâce au sein du P.S. et, peut-être, quelques places éligibles sur la liste socialiste aux européennes de 1999.

Une telle tentative de récupération politicienne affaiblit le mouvement lycéen, le divisant et tentant même de le dévoyer, tout en donnant incontestablement des arguments à ceux des lycéens qui se veulent " apolitiques ", dans le sens d’un corporatisme étroit.

L’ennemi : les cités

Quand des jeunes, lycéens ou étudiants, expriment une révolte, réelle bien que diffuse, s’organisent, se mettent en grève et défilent dans les rues, les médias ont l'habitude de se focaliser sur les " casseurs ". Le phénomène n’est pas nouveau et ce mouvement ne fait pas exception à cette règle bien établie. La télévision préfère montrer quelques vitrines brisées plutôt que s’intéresser réellement à des manifestations regroupant des centaines de milliers de lycéens.

Dans le climat sécuritaire qui domine l’actualité, l'État a largement déployé ses forces de l’ordre établi. Le mardi 20 octobre à Paris, ils étaient plus de 5 000 pour un peu moins de 30 000 jeunes. À cette occasion, les lycéens venant de banlieue ont été fouillés à de multiples reprises : dans les trains et les gares, avant d’accéder place de la Nation puis tout au long de la manif. Casquette, écharpe, survêtement et baskets de marque, un " uniforme " qui vaut contrôles permanents.

Légitimée, banalisée, cette pratique de fouille systématique est pourtant lourde de conséquences. Elle signifie qu’une population dans son ensemble, celle des cités, est considérée comme potentiellement criminelle. À cet égard, le témoignage d’un responsable policier interrogé avant le début de cette manif est édifiant. Cité par Le Monde, ce haut gradé estimait le nombre de " casseurs " présents " entre 500 et 1000 ". Pourtant aucune vitrine n’avait encore volé en éclats…

Un malaise sociétaire

À l'évidence, le problème n’est pas que financier, même si l'éducation, comme l’ensemble des services sociaux, souffre des restrictions budgétaires motivées par les politiques d’austérité que nous imposent tous les gouvernements, de droite comme de gauche, depuis quinze ans.

Le lycée ne peut plus être une caserne soigneusement close, comme mise à l'écart de la société réelle. Les lycéens exigent d'être traités comme de jeunes adultes et non pas comme des élèves, comme des gamins. En conséquence, le bahut doit cesser d'être un lieu de dressage pour devenir un lieu de vie, un lieu d’apprentissage à la vie. Pour y parvenir, il faudra bien autre chose que les vagues mesures concernant la " démocratie lycéenne " annoncées par Allègre.

Par sa portée globale, dépassant le strict cadre des questions d'éducation, le conflit de Seine-Saint-Denis peut certainement être considéré comme le précurseur du mouvement actuel. D’ailleurs, les lycées de banlieue y jouent un rôle souvent déterminant. Ce n’est certainement pas hasard, c’est là où s’expriment le plus clairement l’injustice, le mépris et le sentiment d’abandon que ressentent les lycéens.

Incontestablement, les lycéens en grève expriment un malaise global. La peur du chômage, des petits boulots, en un mot de la vie de merde que leur réserve cette société, donne son sens à ce mouvement. À leur niveau, ils y répondent de la meilleure manière : par la lutte et la solidarité.

Patrick – groupe Durruti (Lyon)