Cinéma

Terminus Paradis

Lucian Pintilie

Un cinéma coup de poing : une chasse a l'homme ouvre Terminus Paradis ! Cette course frénétique pour abattre un homme avait été relatée par la presse roumaine. Dans ses films Pintilie se saisit toujours d'éléments vrais, même s’il ne part que d’un détail. L’incident banal, on tire sur un déserteur, devient dans l'œil de ce grand cinéaste (Le chêne, Un été inoubliable, Trop tard) une déferlante : la police, l’armée sont ridiculisées. Certes, ils peuvent tuer, mais ils sont tellement loin des motivations de vie du personnage-déserteur que leurs tirs touchent d’abord les hommes de leur propre camp. Pendant qu’on évacue les blessés dans leurs rangs, le déserteur court toujours. Mais hélas, un hélico pointe son nez et c’est clair que le fuyard n’aura aucune chance.

La force du cinéma de Pintilie et la puissance de ses images viennent incontestablement des aspects fictionnels, qu’il sait injecter à ces histoires réelles, aux faits divers. Au sommet de son art, il prend le temps d’ajuster les formes, de trouver des visages pour incarner des destins. À partir d'éléments réels, Pintilie compose sa charge contre un État certes " ex-Ceaucescu ", mais encore malade de sa dictature, contaminé jusqu’au plus profond dans son fonctionnement. Il montre comment se perpétue dans les institutions toute la violence d’un appareil de répression toujours intacte. Les personnages, somme toute, très ordinaires, n’aspirent qu'à des choses très simples. Vivre en paix avec l'élu(e) de leur cœur. Mais les deux ans de service militaire que Mitu, le garçon porcher, doit effectuer, anéantissent tout. Donc quand on leur refuse tout, les personnages de Pintilie se révèlent, créent, sont absolument géniaux pour abolir tous les obstacles. Hélas, pour le faire ils enfreignent les lois et courent donc tout droit à leur perte. Car les peines ne peuvent être autre que capitales, donc définitives.

Ainsi Mitu, porcher, ne va pas vivre une longue vie avec sa belle. Il a beaucoup trop d’idées en désaccord avec ces institutions qui le persécutent. Par une très belle idée de mise en scène, Mitu va réussir son plan, mais il n’aura plus le temps de le vivre. Fin magnifique pour ce film tendre et violent qui donne avec beaucoup de finesse la température de l’après Ceaucescu et brode autour du thème cher au cinéaste que sous n’importe quel régime on massacre les innocents.

Comme au début du film, la police et l’armée vont recommencer leurs bavures, unies dans l’excitation d’une chasse à l'homme commanditée. Allez contempler cette double fin d’un film cousu au fil de fer, mais qui ôte les barbelés côte cœur.

Heike Hurst - émission Fondu au Noir (Radio libertaire)