Un après-midi de chien

ou Le Monde libertaire rend visite aux magistrats

Lundi 19 octobre 13 h 30. Nous somme une bonne cinquantaine à faire le pied de grue devant le portique anti- terroriste, moderne sésame qui donne accès au palais de Justice de Paris. L’accusé, notre compagnon A. Devriendt, directeur de publication du Monde libertaire, relit placidement le texte qu’il a préparé pour sa défense. Sont présents, des lecteurs de notre hebdo, des militant(e)s de la Fédération anarchiste et d’organisations libertaires proches, des sympathisants, des auditeurs de Radio libertaire. Tous ces amis, sont venus soutenir la cause de notre journal. Ce premier obstacle franchi, nous accédons au saint des saints, la fameuse 17e chambre correctionnelle. Notre avocat échange quelques mots avec A. Devriendt pour peaufiner notre tactique. Il porte ses décorations bien en évidence sur sa robe. Nous entrons dans la salle d’audience où comme dans tout le palais, tout n’est que décorum (pour impressionner le prévenu ?). Il s’agirait en fait de symboliser la Majesté de la Justice. Je trouve pour ma part cela plutôt kitch, clinquant, voire de mauvais goût. La cour fait son apparition quelques minutes après. Une cour exclusivement féminine (juge, assesseurs, greffière, procureur). Un gendarme me frappe sur l'épaule en me déclarant qu’il faut se lever quand la cour entre. J’essaierai de ne pas oublier au cas où nous aurions à revenir. L’audience débute. Le juge prononce les jugements d’affaires précédentes. La greffière, porte ensuite à sa connaissance le rôle des dossiers du jour. Les avocats peuvent alors demander d'éventuels reports. Pas de bol ou tactique ? Nous n’apparaissons pas dans les premières affaires. Il est clair que nous allons poireauter une bonne partie de l’après-midi. Dommage pour les copains qui ont pris une ou deux heures sur leur temps de travail, ils ne verront pas la fin du film. Il va nous falloir patienter en écoutant des affaires où le pognon émerge de partout.

Faits divers

Le juge : M. X Vous êtes promoteur immobilier ?

M. X : Non Madame le juge : Marchand de biens… à la retraite… Effectivement la nuance est de taille, elle est surtout un peu moins péjorative. Dans cette affaire nous aurons même le droit à la projection télévisée d’une cassette de FR 3 Nice.

Arrive ensuite une affaire qui oppose deux frères promoteurs immobiliers (qui eux, ne s’en offusquent pas) à une banque. Les plaignants ont visiblement la mémoire fatiguée, ils hésitent, pour savoir si à l'époque des faits ils étaient salariés. Ils hésitent, quand on leur demande s’ils paient une pension alimentaire. Ils hésitent, même quand on leur demande s’ils ont des enfants et combien. L’un d’entre eux à la question avez vous des enfants, s'écrie : " Comme mon frère ". Il avait répondu de la même façon sur son salaire. Il est vrai que tout tourne autour d’une caution de 250 000 F. À ce prix là, il ne faut pas répondre légèrement. Vers les quatre heures nous avons le droit à une pause. Elle est la bienvenue car les sièges sont particulièrement inconfortables. Sans doute pour que personne ne s’endorme. Ce qui serait sans doute pris comme une terrible insulte à la Justice.

L’avocate s’emmêle

Le juge fait appeler notre compagnon Devriendt à la barre. Il décline son identité, ses revenus et le nombre de ses enfants (sans aucune hésitation). Comme dans tous les procès de presse outre le directeur de publication, l’auteur de l’article et l'éditeur du titre sont poursuivis solidairement Le juge lit alors la citation à comparaître avec quelques difficultés. Visiblement, elle ne dispose que d’une mauvaise photocopie (quand on vous dit que la Justice n’a pas de moyens pour traquer les délinquants). La citation comporte quand même trois pages, essentiellement constituées par l’article incriminé par le maire de Noisy-le-Grand.

Bizarrement, l’avocate de Pajon ne peut fournir au juge le journal original d’où est tiré l’article. Maître Jacoby le sourire aux lèvres s’empresse de réparer cette lacune. De la même façon, elle indique son incapacité à trouver l'éditeur exact du Monde libertaire. (une citation lui avait été envoyée à Lyon !) et l’auteur de l’article qui se cache (le traître) sous un pseudonyme. Pour l'éditeur la question est vite réglée D. Jacoby fournit copie du dépôt légal du Monde libertaire. Pour l’auteur de l’article, il tente d’invoquer la nullité de procédure. La citation lui est parvenue au journal et non à son adresse personnelle. Mais comme D. Jacoby ne représente pas G Lecardinet, le juge refuse de prendre cette argument en considération.

L’avocate de Pajon reprend alors dans le détail (fastidieux) les termes de la citation et ce qui motive selon elle, cette demande de réparation suite à la diffamation subie par son client. Notre avocat en profite pour contester la validité de la procédure, demandant à la cour d’examiner la nullité de celle ci. Pour D. Jacoby, la citation est tellement confuse qu’il ne peut assurer correctement la défense de son client. C’est donc le droit essentiel de la défense qui est mis en question. Comment répondre à une question précise quand celle ci est noyée dans trois pages de texte.

Petite leçon de droit

La parole est ensuite donnée à Mme le procureur. Celle ci donne d’abord une petite leçon de droit à l’avocate pajonesque. Elle lui explique que fasse à des pseudonymes, il y a des procédures à appliquer, ce qu’elle ne devrait pas ignorer. Puis, citation en main, en en reprenant chacun des paragraphes, elle déclare en termes choisis, à l’avocate de l'édile de Noisy qu’elle a fait un boulot de cochon. Ce qu’elle présentait comme l’essentiel de la diffamation – " il ne fait pas son travail de maire " – ne méritant peut être même pas cette qualification; qu’elle aurait pu appuyer sa citation sur d’autres éléments tournant autour de l’injure et de l’insulte. Pan sur le bec !

Le juge déclare alors que la cour va se retirer pour examiner la demande en nullité avancée par Maître Jacoby. La réponse nous sera donnée le 16 novembre 1998. Il est 17 heures. La salle se vide d’un seul coup de son public. Les deux fliquettes des R. G nous suivent. Nous saurons dans trois semaines si le tribunal accepte la nullité de procédure. Tout s’arrête alors, ou si les poursuites engagées contre le Monde libertaire sont maintenues. Dans ce cas notre avocat devra plaider la justesse de notre cause et le bien fondé de notre article. Pendant ce temps là, bien évidemment la mobilisation se poursuit autour et pour le Monde libertaire.

Clément Duval