Tout est bon dans le cochon… surtout les subventions

Le proc ne vaut plus rienLe taux d’augmentation annuelle de production européenne de porc est de 7 %. Les frigos des grands abattoirs croulent sous quelque 80 000 tonnes de stocks. En France, la consommation de viande de porc par habitant stagne, et même diminue sans doute légèrement. Les marchés solvables extérieurs à la Communauté en viande de porc sont étroits : la crise asiatique et le marasme économique en Russie ferment des perspectives de débouchés. Conséquence logique : l’effondrement des cours. Alors qu’il était payé 12,57 F au producteur au plus fort de 1997, le kilo de porc descend à 5,65 F à la mi-octobre 1998.

Dans un tel contexte, le bon sens (paysan) voudrait que l’on adaptât l’offre à une demande en baisse. Un enfant de huit ans le comprendrait. Et bien, non, la production ne baissera pas ! Comme le confirme le président du Syndicat national du commerce du porc (SNCP), dont le quotient intellectuel doit être indexé sur le cours du porc en période de crise : " Notre position est claire, nous avons besoin d’une production porcine française abondante et forte. " Alors, que propose-t-on ?

La Commission européenne débloque des aides d’urgence d’un montant d’environ 136 millions de francs. D’une part, le stockage des carcasses dans les entrepôts frigorifiques privés sera subventionné. D’autre part, les éleveurs recevront des aides à l’exportation vers la Russie.

Par ailleurs, on relance la consommation intérieure : viande de porc mise en avant dans les linéaires, maintien de prix promotionnels jusqu'à la fin de l’année. C’est-à-dire : remèdes artificiels et une fois de plus, pompage du contribuable. Nos experts n’ont pas encore mis au point une taxe sur la non-consommation de viande de porc, mais cela ne saurait sûrement tarder.

Un enjeu européen

La " maîtrise " de la production reste le sujet tabou par excellence. Lorsqu’on l'évoque, c’est avec la langue de bois. Certains parlent de " prendre des mesures pour une adéquation souple de l’offre à la demande " (??) Les Espagnols sont " favorables à une certaine discipline " (?). La Hollande fait preuve d’une plus grande franchise : elle refuse d’envisager une maîtrise jugée " trop coûteuse et trop compliquée ".

Les plus gros éleveurs ne veulent pas s’attaquer à la surproduction chronique. Et pour cause !

Chaque crise élimine 20 % des éleveurs, permettant aux industriels de s’accaparer une part croissante de la production, et accentuant la concentration. En France, seule la catégorie des élevages de plus de 1000 porcs a progressé entre 1979 et 1995 : de 5 % en nombre leur poids économique représente actuellement 55 % du cheptel. Car si les élevages les plus pointus, dont une bonne part s’est agrandie illégalement, culminent à 240 000 F de revenu par an, par actif familial, les exploitations les moins performantes succombent au manque de réserve financière.

Selon une enquête d’un cabinet d'études du Finistère, 30 % des producteurs sont déjà en cessation de paiement, 30 % risquent de l'être d’ici novembre. Seulement 40 % pourront tenir jusqu’en juin 1999 ! " Il n’y a pas trop d'éleveurs, il y a trop de porcs dans certains élevages ".

Il faut noter, une fois encore, l'hypocrisie et l’incohérence des mieux armés. De ceux qui ont accepté des accords du G.A.T.T. imposant à l’Europe l’importation de 700 000 tonnes de viande porcine… alors que le continent était autosuffisant. Des autorités bruxelloises qui poursuivent la France pour non-respect des normes de pollution… mais qui laissent s’accélérer la course éperdue aux investissements de capacité. D’une profession qui invoque le libéralisme quand les bonnes années engraissent sa trésorerie… mais plaide la socialisation des pertes. L’intervention des pouvoirs publics, quand la conjoncture s’inverse ; qui s’acharne à surproduire pour exporter tous azimuts… mais qui saccage tout ce qu’elle rencontre quand elle découvre des viandes étrangères.

Pour contenir la prolifération des élevages hors-sol porcins, plus de 90 associations de tous horizons se sont unies au sein d’une Coordination nationale contre les porcheries industrielles. Une initiative qui a le mérite de poser un problème aigu, de faire prendre conscience d’une réalité alarmante et de commencer à établir un rapport de forces entre une minorité qui agit à sa guise en toute impunité et une majorité excédée, mais qui ne semble avoir ni perçu le degré de gravité de la situation, ni pris la mesure de sa force.

Jean-Pierre Tertrais