Casse des services publics

Du service public au service universel

L'État a longtemps constitué une sorte d’avancée sociale pour beaucoups de ceux qui subissent la domination capitaliste. Les luttes du mouvement ouvrier ont été ponctuées de victoires qui ont souvent pris la forme, au niveau général, d’une loi garantissant telle ou telle avancée obtenue dans la lutte. Ce n’est que pour cette raison que l'État peut sembler à certains être le défenseur des opprimés contre le marché. En fait, iI ne fait que sanctifier le rapport de force obtenu dans les luttes réelles.

Il est, du coup, illusoire de s’en remettre à lui pour se protéger. Mais l’illusion fonctionne bien. On parle de droit du travail comme si les protections en question étaient la création de l'État en dehors la réalité sociale. Ce droit ne fait que généraliser des protections qui n’ont pas, en principe, à être gagnées et remises en cause quotidiennement et dans l’entreprise.

L'État s’est toujours empressé, sous couvert de légitimité républicaine non partisane, de gérer les avancées sociales. Cela a été notamment le fait de certaines structures fonctionnant sur le principe mutuelliste et autogérée qui sont attribuées de façon erronée à l'État. La Sécurité sociale fonctionne ainsi sur un principe de solidarité.

Mais elle est dévoyée au point que les travailleurs ne voient plus, souvent, la différence entre l'État et la sécu. Il y a un vrai processus d’aliénation où les victoires progressives du mouvement ouvrier semblent lui devenir extérieures et lui échapper. L'État est au cœur de ce processus. Si bien que s’il décide de ne plus garantir ces avancées dans une période de chômage de masse, il est fort à craindre que l’avancée en question soit remise en cause.

Service public et " efficacité " libérale

Depuis une vingtaine d’année, c’est bien une politique de casse du service public qui est à l'œuvre. Les services publics sont redéfinis dans un sens différent de celui qui avait présidé à leur création. L’idée de service public n’est pas indifférente aux anarchistes. Ce n’est que son utilisation comme palliatif du marché et producteur d’une cohésion sociale dans une société inégale qui la rend critiquable. C’est, en effet, la raison pour laquelle les services publics se sont développés pendant longtemps.

Étant conçus comme les béquilles du marché, ils deviennent importants en proportion des effets négatifs du marché. Depuis 1980, l'ère libérale a permis de changer cet état de fait afin d’adapter les services publics au libéralisme.

Ce n’est pas qu’ils aient disparu mais leur gestion montre une redéfinition libérale de l’intervention de l'État. À l'égalité, s’est substitué l'équité. Au service public, s’est substitué le service universel. L’idée est que la péréquation à l'œuvre (le même prix est payé par tous quel que soit l’usage fait du service ce qui amène des personnes qui n’en usent pas à le payer de façon à réduire le prix pour ceux qui en usent) doit être de plus en plus réduite.

Les services doivent le plus possible être payés au juste prix. Il ne doit être concédé gratuitement qu’un service minimum de mauvaise qualité (pour qu’il ne soit pas attrayant) à ceux qui ne peuvent avoir accès aux autres services sur le marché et pour lesquels une concurrence existe. C’est ce prix là qui doit être payé pour préserver une certaine cohésion sociale et une certaine unité nationale. Les services publics ne servent alors plus qu'à appuyer la logique inégale de la société et non pas à s’y confronter comme alternative.

À la poste, on proposera un service minimum pour tous de manière gratuite mais le moindre service efficace doit être payé. C’est ainsi que la Poste à développé les filiales, type Chronopost, chargé d’offrir un meilleur service, la garantie du lendemain, en concurrence avec d’autres entreprises telle UPS. Les télécommunications, de la même façon, ont été séparées car le service universel doit être minimum. En matière de télécommunication, France Télécom développe par exemple des filiales sur le créneau du portable mais, dans le même temps, annonce la suppression de 30 % des cabines publiques. C’est ça le service universel.

Le gouvernement file à une entreprise privée un cahier des charges respectant le service universel en contrepartie de privilèges accordés et de subventions. Le service public devient alors une entreprise devant gérer ses employés comme les autres. On comprend la lutte de tous les salariés des services publics depuis de nombreuses années.

À l'hôpital, il existera un service universel qui permettra à tous d’avoir accès aux soins généraux mais la rentabilité commande de concentrer les moyens en quelques endroits aptes à gérer certains soins, quitte à imposer des kilomètres ou à offrir les usagers au privé. Ainsi, les nouvelles procédures proposées par les Agences Régionales visent à rationaliser l’usage des soins. Il suffit de fermer des unités ou de les asphyxier afin de concentrer les moyens dans quelques grands centres. Il suffit de rationaliser à partir d’un nombre d'habitant par unités de soins qui mélangent le public comme le privé de façon à les mettre directement en concurrence. C’est ainsi que les usagers peuvent se détourner de l'hôpital qui fournit en certaines occasions de moins bonnes prestations. On organise ainsi tranquillement la fuite vers le privé.

Écoles de riches, écoles de pauvres

À l'école, c’est bien ce même service universel qui est à l'œuvre dans les projets. Le projet Jospin-Allègre-Mérieu est la concrétisation de ce passage, pour l'école, du service public au service universel. La décentralisation est un processus de rationalisation analogue à celui de l'hôpital dans lequel les établissements publics comme privés seront inclus égalitairement.

Le projet consiste à dire qu’on n’ira pas plus loin en matière de démocratisation. Donc, iI faut, maintenant, surtout économiser des moyens qui deviennent inutiles puisque l’optimal a été atteint. C’est ainsi que le mieux enseigner se substitue au plus d’enseignants. C’est ainsi que la réduction des horaires pour les élèves est proposée par le ministère. Il n’est pas question de dire que la question de l’acte éducatif ne doit pas être repensée ou que les élèves ne peuvent légitimement demander à travailler moins et sur des connaissances qui les intéressent. Mais permettez de douter qu’un ministre reprenne ces revendications à son compte sans arrière-pensées. En effet, cela permettrait d’offrir un service universel minimum aux élèves qui pourrait être utilement complété par des services concurrentiels et complémentaires. C’est le cas pour l'école ou des villes ou des écoles de riches pourront proposer pleins d’activités à leurs élèves l’après-midi tandis que les villes de pauvres seront bien en peine de compléter les activités.

C’est cette transformation qui est à l'œuvre aujourd'hui, avec plus ou moins d’avancée, dans la gestion des services publics. Le service universel, c’est le truc de la commission européenne pour trouver un consensus sur les services publics en Europe. C’est surtout le nouveau dada de la gauche libérale pour parler des services publics. Les services publics ne doivent exister que pour les plus pauvres afin de préserver la société de la révolte, mais il ne s’agit pas de dépenser sans compter, il faut rationaliser. Pour les autres, il leur reste le marché ! Il y a là un vrai enjeu de lutte aujourd'hui.

Most