Marche mondiale des femmes en l’an 2000

Nous marcherons

Le 4 juin 1995, quinze mille personnes acclament à Québec les 800 marcheuses contre la pauvreté qui depuis dix jours sillonnent les routes de la province. Mais surtout ne pas s’arrêter là !

Aussi, lors du Forum mondial des femmes à Pékin, des militantes québecoises proposent d’organiser une Marche mondiale des femmes pour l’an 2000. L’idée est retenue avec enthousiasme. Et ce 17 octobre 1998, journée de lutte contre la pauvreté, 200 femmes venues de 60 pays s’accordent pour lancer cette Marche. Deux thèmes fédèrent au niveau international : la lutte contre la pauvreté et pour le partage de la richesse et celle contre les violences faites aux femmes et pour le respect de leur intégrité physique et mentale. Deux axes qui révèlent un cri pour dire que le monde tourne mal et un appel à le changer.

Avons-nous besoin de rappeler que certaines régions du monde survivent grâce essentiellement au travail des femmes, travail non rémunéré la plupart du temps quand il s’agit du portage de l’eau, de l'élevage, de l’agriculture, des soins ou de l'éducation ? Avons-nous besoin de rappeler que les violences et la misère pèsent plus fortement encore sur les femmes, dans ces mêmes régions mais aussi dans toutes les autres ? Que leur corps ne leur appartient pas, quand il est exhibé, exploité, excisé, vendu, violenté, violé ou quand il sert d’armes de guerre et de purification ethnique. Que la violence soit militaire et guerrière ou qu’elle soit économique et capitaliste, ce sont les femmes qui très majoritairement subissent ces violences. Sémira ou Talisma en sont aujourd'hui les symboles pour toutes celles qui souffrent et toutes celles qui luttent.
Le triomphe des inégalités, à l’aube de l’an 2000, est criant, injustifiable et intolérable : inégalités et déséquilibres profonds entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre ceux de l’Est et ceux de l’Ouest, et parmi la population d’un même pays, entre les riches et les pauvres, entre les jeunes et les plus âgés, entre les villes et les campagnes mais aussi entre les hommes et les femmes.

Éliminer la pauvreté

70 % des femmes vivent en dessous du seuil de pauvreté : alors qu’elles fournissent les deux tiers des heures de travail, elles ne retirent qu’un dixième du revenu mondial. Le capitalisme et le patriarcat se conjuguent pour appauvrir les populations et particulièrement les femmes alors que la richesse produite ne cesse de croître. C’est la dictature des marchés organisés en pouvoir supranational comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale. Sont imposés des programmes d’ajustements structurels au Sud ou des coupes dans les programmes sociaux au Nord, se profile le projet multilatéral sur l’investissement (A.M.I.), et l’aide publique, ciblée en 1970 à hauteur de 0,7 % du produit national brut, descend entre 1990 et 1996 de 0,34 % à 0,25 % en moyenne.

Aussi les femmes réunies à Québec en appellent à " combattre le sentiment d’impuissance, à remettre à l’avant-scène la solidarité et le partage des cultures, du travail, des savoirs, des responsabilités envers les enfants et les générations futures, à explorer de nouvelles formes de création et de distribution des richesses pour assurer à chaque personne et chaque collectivité son plein épanouissement. " En fait à opérer une rupture avec le capitalisme, le patriarcat et la guerre.

Éliminer les violences

Les violences faites aux femmes ont été définies, lors de la Quatrième conférence mondiale des Nations-Unies sur les femmes comme " tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. ".

Ces violences traduisent des rapports de force inégaux entre les hommes et les femmes, base du patriarcat, et renforcés par le capitalisme : les liens entre la marchandisation du corps des fillettes et des femmes (prostitution, esclavage, dot) et la pauvreté sont éloquents. En outre, une nouvelle forme d’apartheid s’installe avec la montée des intégrismes religieux excluant les femmes de l'éducation, du travail, ou des soins. Les violences touchent toutes les femmes mais celles qui vivent dans des conditions de précarité absolue ou celles qui appartiennent à des groupes discriminés comme les petites filles, les adolescentes, les autochtones, les réfugiées, les migrantes, les lesbiennes, les handicapées ou les aînées, sont particulièrement vulnérables. Par exemple, le fait d'être lesbienne entraîne dans certains pays, la prison, la flagellation, la torture et la mort.

C’est pourquoi l’appel rappelle que " les femmes veulent une société où tous les hommes – les maris, les conjoints, les pères, les grands-pères, les oncles, les cousins, les voisins – s’engagent à rompre définitivement avec toutes les formes de violence envers les femmes, dénoncent eux-mêmes sans complaisance et avec vigueur toutes les exactions commises envers les femmes et développent avec les femmes des relations basées sur légalité et le respect. "

Faire travailler l’imaginaire

Ainsi un appel est lancé pour que, d’ici le 17 octobre 2000, des centaines de milliers de femmes de par le monde prennent des initiatives suffisamment puissantes pour que la conscience générale des hommes soit ébranlée et pour permettre des décisions et des actions en faveur de l’exercice des droits fondamentaux des femmes. Les revendications portées cherchent à ce que " chacun et chacune ait à la fois de quoi vivre et des raisons de vivre ". Émergent aux quatre coins de la planète des " initiatives innombrables issues du mouvement autonome des femmes qui sont autant de résistances aux inégalités, aux oppressions, aux exclusions " : groupes de défense des droits, cuisines collectives, centres de femmes, organismes voués à la protection de l’environnement, luttes pour l’accès au logement et à la propriété de la terre, pour la syndicalisation, l’amélioration des services sociaux et de santé, l'éducation des enfants…

D’ores et déjà, en France, de nombreuses associations, syndicats et mouvements politiques rejoignent l’appel lancé à Québec. Le 8 mars 1999, des initiatives seront prises en ce sens, en cherchant à élargir les différents collectifs qui se mettent en place. La Marche, en France, commencera le 8 mars 2000 et convergera avec celle des autres pays d’Europe jusqu’au 17 octobre 2000, jour de manifestation mondiale des diverses délégations continentales à New York.

Le mouvement impulsé ouvre clairement le débat d’un autre futur anticapitaliste et antipatriarcal qui concerne autant les hommes que les femmes " pour que ce monde devienne un espace de justice et de liberté pour toutes et pour tous ".

Hélène Hernandez –  groupe Pierre Besnard (Paris)