Témoignages de lycéens en Ile-de-France

L'émission Chronique syndicale sur Radio libertaire accueilli le 24 octobre, quatre lycéens : Victoria du Lycée Lamartine (Paris), Manel du Lycée Toulouse-Lautrec (Vaucresson, Yvelines), Paul et Floréal (mandatés par l’A.G. du Lycée Chaptal, Paris). Quelques extraits de l’interview réalisée par Sylvie.

Victoria : La mobilisation des lycéens est partie de la province, à Paris, nous avons pris le train en route mais sur les mêmes revendications générales : plus de profs, plus de pions, plus de moyens.

Floréal : Certaines classes se sont mobilisées et ont essayé de faire bouger les autres en convoquant des A.G. À Chaptal, nous avons décidé de nous coordonner avec les autres lycées mobilisés au sein de la Coordination Paris nord qui s’est transformée en Coordination lycéenne indépendante, pour contrer la F.I.D.L. qui se dit représentative du mouvement lycéen alors que nous ne la voyons nulle part à Paris et que la province ne la connaît pas. Sur la région, ils se disent 300 alors que nous étions 30 000 dans la rue.

ML : La F.I.D.L. est une émanation du P.S., le pouvoir cherche à canaliser le mécontentement des p'tits jeunes pour éviter un mai 68.

F : Oui, tous les médias n’ont montré que la F.I.D.L. au début. Il a fallu attendre plus de dix jours pour que le Monde ou France Inter évoquent la Coordination lycéenne indépendante.

Paul : Nous n’avions vu la F.I.D.L. que l’an dernier dans les mouvements anti-FN. Si nous avons créé la Coordination, c’est pour montrer qu’il n’y pas que la F.I.D.L.

V : Cette coordination s’est vraiment créée spontanément. Certains lycées sont descendus dans la rue, sont allés chercher d’autres lycées. Nous avons pris rendez-vous et nous nous sommes inclus dans la Coordination.

ML : A l’intérieur des lycées, comment vous êtes-vous repérés ? Comment avez-vous été reçus par les profs, par les élèves ?

F : Ceux qui étaient mobilisés sont venus chercher les autres dans chaque classe en proposant qu’il y ait un représentant par classe pour organiser la grève et en appelant tous les élèves à l’A.G. Quand nous sommes allés à Carnot, nous n’avions pas composé de délégation, alors nous sommes entrés par les portes, les fenêtres, en courant dans les couloirs. Nous n’avons pas bien été reçus. Au contraire, quand nous entrons en disant " Bonjour, nous avons besoin d’un délégué pour l’A.G. ", là c’est mieux perçu et les profs lâchent plus facilement les élèves.

V : À Lamartine, le mercredi 14 octobre, nous avons dit à tous les élèves que nous voulions faire une A.G. dans la cour et presque tout le lycée est venu. " Voilà, il y a des lycées qui bougent. Nous, nous avons eu des problèmes l’an dernier. Voulez-vous faire grève ? ". La grève a été votée, nous avons fait appel à tous les délégués et à tous les volontaires pour élire des représentants.

F : Parmi les représentants, 4 ou 5 étaient mandatés pour aller à la Coordination, le soir à Jussieu. À Chaptal, nous avons repris les revendications nationales en les discutant, les approuvant et en élaborant d’autres revendications locales dont la création d’un foyer pour tous les élèves, le refus d’une gestion privée de la cantine (projet en cours, si bien que les tarifs vont augmenter) ou bien encore la solidarité avec les autres lycées mobilisés.

ML : Un mouvement unitaire compte tenu de revendications particulières, est-ce difficile ?

V : La grande divergence entre la Coordination et la F.I.D.L., ou entre la F.I.D.L. et la province, c’est l’acceptation ou non des mesures Allègre et du rapport Meirieu. Sinon, nous voulons tous être moins par classe, avoir plus de profs, plus de moyens mais de ces moyens, qu’allons-nous en faire ? C’est déjà ça qu’il faut se demander.

ML : A Vaucresson, quel regard tu poses sur ces événements ?

Manel : Il s’agit d’un lycée public en internat, le seul en France à être adapté pour des jeunes valides et des personnes à mobilité réduite. Quand nous avons vu des affiches dans le lycée, nous nous posé la question des problèmes présents dans le lycée. Nous n’avons pas les mêmes revendications car nous avons beaucoup de moyens et du personnel en informatique et nous sommes peu par classe. Mais nous manquons de matériel pour que les jeunes présentant un handicap lourd puissent étudier facilement, et le règlement intérieur est stressant : les premières et terminales doivent se coucher à 22 h 30 mais les jeunes handicapés doivent l'être à 21 heures. Et il n’y a pas moyen de discuter : 21 heures, un point c’est tout, par manque de personnel.

ML : Après la manifestation de mardi 20 octobre, où en êtes-vous ?

V : Il n’y a pas eu la grande démobilisation racontée par les médias, l’information est bien passée dans les lycées.

F : Nous nous sommes bien mobilisés, en nous donnant les moyens de réaliser de vraies affiches grâce à une caisse commune. Nous avons organisé les services d’ordre par lycée. Des profs de Chaptal sont venus nous soutenir. Quant à la F.I.D.L., ils accaparent les médias ; seule une lycéenne de Marseille a pu parler et dire ce qu’Allègre a proposé, c’est-à-dire rien. Une rencontre de vingt minutes, un papier blanc, il a bu un verre d’eau et il est parti.

ML : Revenons aux mesures Allègre.

P : Sur la première mesure relative à la démocratie, le surlendemain, le F.N.J., filmé par FR3, distribuait des tracts devant le lycée Chaptal, essayant le droit d’expression et d’affichage affirmé par Allègre !

V : Quant aux emplois-jeunes, au niveau de la Coordination, nous nous sommes prononcés contre la précarisation croissante.

F : 10 000 emplois-jeunes, 3 000 surveillants, 1000 appelés, ça fait 14 000 : nous demandons 100 000 postes et des profs ! Nous ne voulons pas d’allégement de programme mais une meilleure organisation de l’emploi du temps. Si en terminale, ils sucrent des parties du programme, ça va porter sur quoi ? La résistance lors de la seconde guerre mondiale ?

P : Nous ne nous battons pas seulement pour nous, mais aussi pour les générations à venir.

ML : Il va être demandé aux maîtres auxiliaires d’enseigner une discipline qui n’est pas la leur.

F : Comme il y a trop de profs de philo et pas assez de profs d’espagnol, alors il faudra que les profs de philo enseignent l’espagnol, même s’ils ont étudié l’anglais et l’allemand !

V : Le ministère se place dans une logique du moindre coût. Allègre dit " des élèves avec un prof ". Il se fout de ce que le prof et les élèves font. Nous allons tout faire pour être entendus à la rentrée.

ML : Qu’est-ce que ce mouvement a provoqué en vous ?

M : Nous avons fait la grève mais ça n’a abouti à rien. Il faut faire bouger les choses. Faire grève, ça fout la trouille, quand on est en fauteuil roulant comme moi, mais c’est génial. Ça fait du bien de revendiquer.

F : J’y ai vu l'égoïsme de certains et la solidarité des autres. La grève, c’est plus fatiguant que d’aller en cours !

P : j’ai pris cela comme une véritable action de citoyenneté. Avec beaucoup de prises de gueule mais ça a donné une conscience politique.

V : Chaque revendication est l’aboutissement de quelque chose de beaucoup plus large, d’une pensée, d’une interprétation du monde. C’est surtout une question de prise de conscience.

Retranscription : Hélène Hernandez