Alain Marcadé chante Léo Ferré

Léo FerréAlain Marcadé, homme de théâtre mais aussi chanteur, a monté un spectacle sur les textes et chansons de Léo Ferré : « Uomo Solo » (voir le Monde Libertaire n°1136). Un spectacle très fort et très agréable où Alain Marcadé a su faire revivre la poésie de Léo Ferré, tout comme ses coups de gueule et ses émotions. Pour se faire, Alain Marcadé s’est entouré de très bons musiciens qui ont réarrangés, sans trahir, les chansons de Léo Ferré, aux rythmes du jazz ou des musiques du monde.

Il semble qu’aujourd’hui, les mots de Ferré soient d’actualité, on ne compte plus les reprises, les livres, les spectacles (Marc Ogeret vient d’ailleurs de monter un spectacle, « Amour, Révolte », où il reprend des chansons anarchistes et les chansons d’amour de Ferré). Nous sommes allés à la rencontre d’Alain Marcadé pour en savoir plus et, peut-être, vous donner envie de voir son spectacle.

M.L. : Qu’est-ce qui t’a poussé à chanter Ferré ?

A.M. : Ce qui m’a poussé à chanter Ferré, en fait, c’est une succession de choses. Il y a d’abord eu des vacances passées chez ma grand-mère quand j’avais six ans.

Elle écoutait déjà Ferré, un vieux 45 tours sur un vieux phonographe. Elle faisait de la dentelle et nous étions autour d’elle, dans sa chambre de travail et nous écoutions Ferré avec elle. Ce fut ma première rencontre. Par la suite, j’ai eu l’occasion d’être régisseur-éclairariste et j’ai éclairé un des spectacles de Ferré qui avait été programmé à la Maison de la Culture du Havre. À la suite de ce spectacle, la Maison de la Culture a organisé une tournée en Normandie et j’ai suivi Léo Ferré sur 5-6 villes de la région pour assurer l’éclairage de son spectacle. Ça a été la première et unique rencontre avec le personnage, le chanteur et l’homme.

Bien sûr, il y a eu les événements de 68 ­ j’avais 18-19 ans ­ Ferré, à l’époque a été un chanteur important et emblématique. Déjà, quelque chose d’important s’était produit un peu avant, une rencontre culturelle capitale : c’est grâce à Ferré que j’ai rencontré la poésie, parce qu’il avait mis en musique les textes de Rimbaud, Verlaine, Rutebœuf et les autres.

M.L. : Qu’est-ce qui reste actuel de Léo Ferré : sa poésie, sa révolte ?

A.M. : Sa révolte reste ô combien d’actualité, mais j’ai tendance à penser que son œuvre est universelle, qu’elle dépasse de loin les époques et les modes. Ce qui reste c’est avant tout son œuvre poétique et musicale.

M.L. : C’est pour ça que dans les chansons que tu as reprises, tu as surtout gardé son univers poétique, même si tu chantes « Madame la Misère », « Y en a marre » ou « Ils ont voté »…

A.M. : Oui je crois. C’était un choix de départ. Je ne voulais pas qu’on enfermé Ferré sous une étiquette politique. C’est ça Ferré, mais c’est un peu réducteur. Une fois de plus, c’est l’aspect universel qui m’intéresse. Je crois que, de son vivant, il avait un public tellement large qu’il dépassait le cadre des anarchistes. L’enfermer sous cette seule étiquette-là, aujourd’hui, ne correspond pas à la réalité que lui a vécu en tout cas. C’est donc essentiellement un spectacle poétique et musical. On a essayé d’équilibrer, à la fois, la place des textes et de la musique, et de leur donner autant d’espace à tous les deux.

M.L. : Il me semble que tu as privilégié les textes qui racontaient une histoire. C’est peut être ce qui ressort du fait que tu es également comédien ?

A.M. : C’est vrai que j’aime beaucoup les chansons qui racontent quelque chose, qui sont un peu des tranches de vie en quelque sorte. C’est peut-être mon côté « théâtreux », mais il y a aussi dans le spectacle des textes très denses comme « La Mémoire et la Mer » C’est un texte énorme qui doit faire 10-15 pages, et donc c’est un court extrait que Ferré avait repris pour le mettre en musique.

M.L. : Comment as-tu choisi les chansons ?

A.M. : Ça a été difficile et douloureux parce j’en aime énormément. Le critère de sélection a donc été les chansons que j’aime plus que d’autres.

M.L. : Et tu comptes continuer à en présenter d’autres ou t’arrêter à ce registre ?

A.M. : Le travail, tel qu’il est aujourd’hui, est en cours de chantier. C’est vrai que le spectacle évolue au fur et à mesure. Par exemple, depuis le dernier spectacle, on a envie de reprendre un texte que Ferré a mis en musique, « Uomo Solo », et on a envie de le traiter en chant polyphonique corse. Donc on va se mettre au boulot sur cet arrangement un peu particulier, pas musical (puisqu’il n’y aura pas de musique mais simplement des voix).

M.L. : Quelles différences y a-t-il, pour toi, entre jouer du théâtre et chanter ?

A.M. : En fait assez peu, parce que j’essaie à chaque fois que j’interprète une chanson de me créer un univers intérieur comme le fait un comédien quand il crée un personnage. La différence, quand même, c’est que le monde de la chanson et de la musique est sans doute beaucoup plus contraignant techniquement, parce qu’il y a un rythme, parce qu’il y a une musique et qu’il faut se placer à l’intérieur. Le comédien a sans doute plus d’espace de liberté pour dire son texte. Mais une fois que les contraintes musicales sont acquises, on peut les dépasser.

M.L. : Le choix musical pour lequel vous avez opté n’est pas celui de Ferré, c’est-à-dire soit jazz, soit musiques du monde (tzigane…), là tu parles de polyphonie corse… Comment êtes-vous arrivés, en partant des musiques de Ferré à la vôtre ?

A.M. : Il y a un constat simple : c’est que les arrangements musicaux qui ont été faits il y a vingt ans étaient d’actualité il y a vingt ans et ça ne correspond plus à la musique qu’on entend. Mais, une fois de plus, ce n’est pas pour répondre a une question de mode, c’est simplement la musique qu’on aime entendre, que les musiciens qui travaillent avec moi aiment jouer. Je dirai qu’il y a des choses empruntées au jazz ou d’autres courants musicaux tout à fait actuels.

Le choix des musiques et des arrangements s’est fait à partir d’un travail avec Emmanuel Delaire, autour d’une table pour commencer. On a parlé essentiellement des textes et on a essayé à chaque fois de recréer un univers musical à partir de ces discussions et échanges.

M.L. : Comment as-tu trouvé les autres musiciens, vous vous connaissiez avant ?

A.M. : J’ai surtout longtemps travaillé avec Emmanuel Delaire puisqu’il m’a accompagné plusieurs années sur un spectacle qu’on avait monté autour de Gaston Couté, « La chanson d’un gas qu’à mal tourné ». On a tourné pendant 5-6 ans un peu partout en France, y compris dans les villages de vacances. Et c’est extraordinaire ce que les œuvres de Gaston Couté sont encore d’actualité et appréciées par un public très large. J’aime beaucoup bosser dans les Villages de Vacances, parce que les gens sont disponibles, sont à la découverte de choses qu’ils ne connaissent pas et sont prêts à recevoir, contrairement à des périodes de l’année où ils ont d’autres préoccupations. Pour moi c’est une période privilégiée. On a beaucoup présenté ce spectacle sur Couté et il y à eu des rencontres très très riches avec un public qu’on a l’habitude d’appeler « un public populaire ».

M.L. : Comment as-tu découvert Gaston Couté ?

A.M. : À l’origine, c’est grâce à l’association « Le vent du ch’min » qu’avait initié Gérard Pierron. Je me suis aperçu qu’ils avaient fait un travail énorme de collectage de textes. Je me suis plongé dans la lecture de ses bouquins, j’ai aussi écouté le premier disque de Gérard Pierron. Les textes de Couté m’ont énormément ému. En un mot, je me reconnaissais vraiment là-dedans.

M.L. : Il y a un lien entre Couté et Ferré ?

A.M. : Le lien est assez naturel. ils parlent tous les deux… je dirais d’« humanitude » plus que d’humanité. Ils parlent tous les deux de la vie, de la liberté et d’amour. Tous les deux et Couté plus particulièrement à son époque, étaient libertaires dans leurs façons de voir le monde et la vie. Pour moi, le lien est naturel.

M.L. : Que t’a apporté Ferré et le fait de le chanter aujourd’hui ?

A.M. : Ferré m’a apporte la poésie. C’est important, même si personne ne l’a mesuré à son époque. C’est un événement culturel très important que de faire découvrir la poésie à une grande masse de personnes. Je crois qu’aujourd’hui, les jeunes gens qui ont 17-18 ans sont beaucoup plus loin de la poésie qu’on pouvait l’être au même âge.

La poésie c’est aussi une porte ouverte sur des utopies, une façon de se projeter. Cette valeur très forte, cette façon de refaire ou recréer le monde, c’est fondamental et moteur par rapport à la vie d’un individu. La poésie permet à l’individu de se situer dans la société où il est et créer sa propre existence.

Propos recueillis par Jean-Pierre Levaray

contact : Théâtre de l’Albatros 5, rue de l’Andelle, 27460 Alizay