Cinéma

L'éternité et un jour

Theo Angelopoulos

S’il vous restait qu’un jour à vivre que feriez-vous ? Cette question simple et métaphysique construit le film et l’interroge. Peu de cinéastes traînent la récente histoire de leur pays (au moins 30 ans de guerre civile) dans leurs savates comme c’est le cas de Theo Angelopoulos. Ce cinéaste exceptionnel a su imposer une esthétique basée sur de longs plans-séquences et un découpage lié à l’émotion, qu’elle soit éprouvée par ses personnages ou par nous qui regardons. Dans ses films, point de place pour la Grèce touristique, le ciel bleu et le folklore. Son cinéma travaille la face sombre des hommes, s’épanouit dans les conflits. Mais ce n’est pas pour autant un cinéma laborieux où la parlotte dominerait. On voit par exemple deux enfants partir en train pour retrouver leur père, parti travailler en Allemagne. Paysage dans le brouillard. Un homme et une femme âgés sont exilés sur une plate-forme en pleine mer. La parabole est lumineuse. Voyage à Cythère aussi bien que Le pas suspendu de la cigogne traitent de problèmes graves, tous liés aux situations inextricables héritées souvent de la déferlante colonialiste. Son Regard d’Ulysse arrivait en même temps que le tonitruant Underground. La palme d’or lui échappa.

Mais en 1998 son dernier film L’éternité et un jour met tout le monde d’accord et il emporte la palme. On pense involontairement a Dorothy Parker, reconnue pour sa prose que très tardivement. Consacrée, elle va sur scène empocher son prix. Elle dit « enfin ! Je l’ai » et s’en va. Le public rit, les organisateurs ne sont pas contents. Angelopoulos, c’est plutôt le genre a faire remarquer qu’on avait tort de l’oublier les autres années. Donc plus personne ne rit et on se sent coupable. S’il n’est donc pas toujours aisé de le rencontrer en privé, le cinéaste, lui, bâtit son cinéma sur les rencontres. Dans L’éternité et un jour, cet homme condamné (Bruno Ganz) rencontre un petit garçon albanais, qu’il sauve par un geste spontané. Mais le sauve-t-il réellement ? Et si vous étiez cet homme là ? Le feu rouge est-il là pour s’arrêter ? Ou est-il là pour démarrer ? Un cinéma de maturité qui plaide la primauté de l’instant et, de toutes façons,l’éternité et un jour est un beau programme.

Heike Hurst - émission Fondu au Noir (Radio libertaire)