Le syndicalisme enseignant dans l’impasse

Au moment ou les lycéens, inexpérimentés et même parfois maladroits, mais fort de leur dynamisme, mettent le gouvernement sur la défensive, les syndicats de profs se révèlent incapables de faire obstacle aux réformes d’Allègre qui visent à précariser l’enseignement. Il ne s’agit évidemment pas d’améliorer, comme le dit le ministre, les conditions de travail des lycéens, mais plus prosaïquement de faire des économies, en remplaçant des postes de salariés de l’État par des petits boulots et des contrats à durée déterminée.

Pourtant l’Éducation nationale devrait être un secteur privilégié pour le mouvement syndical. Elle compte plus de 30 % de personnels syndiqués, contre 8 % pour l’ensemble du salariat, ce qui représente sans doute plus de 350 000 adhérents. Avec de telles forces, on s’attend à ce que les syndicats de profs soient en mesure de défendre efficacement leurs idées, ou au moins empêcher Allègre et sa grande gueule démagogique d’imposer l’enseignement au rabais. Les faits montrent malheureusement depuis la rentrée de septembre exactement l’inverse. Les syndicats enseignants ont été incapables de résister à Allègre et ils surfent maintenant sur les revendications des lycéens, en espérant retirer des miettes d’une action qu’ils ont été, eux, incapable de mener.

Syndicalisme autonome

Pour comprendre cette faiblesse de l’action revendicative, il faut avoir à l’esprit les spécificités du syndicalisme des profs. L’essentiel des enseignants syndiqués le sont dans l’une des deux grandes fédérations syndicales de l’Éducation nationale : la F.S.U. (S.N.U.I.P.P. pour le primaire et S.N.E.S. pour le secondaire) et la F.E.N. (S.E. pour primaire et secondaire).

Pour situer les rapports de force et l’audience des uns et des autres, on peut se reporter aux résultats des élections professionnelles de 1997, toutes catégories de personnels confondues : F.S.U. 34 %, F.E.N. 29 %, C.F.D.T. 11 %, F.O. 8 %, C.G.T. 7 %, autres 11 %. La F.E.N. (Fédération de l’Éducation nationale) est née en 1924.  Le syndicalisme enseignant a son origine dans la branche du syndicalisme français issue du mouvement ouvrier. Mais il a trouvé sa spécificité dans la volonté des profs de rester entre eux, faisant ainsi le choix de l’autonomie syndicale, c’est-à-dire du repliement à l’intérieur de la seule Éducation nationale et à l’écart des grandes confédérations interprofessionnelles. Cette fuite du reste du monde du travail explique qu’il n’y a aujourd’hui aucune culture de la lutte dans les établissements scolaires. Les profs ne savent pas se battre contre leur patron : l’État.

Corporatisme

La F.E.N. a scissionné en 1992, se divisant en F.E.N. qui recherche la cogestion de l’école avec le ministère et la F.S.U. au discours plus revendicatif, mais aux pratiques tout aussi corporatistes. Querelle de famille plus que progrès du syndicalisme de lutte, mais surtout partage entre frères ennemis du gros gâteau que constitue les cotisations des profs.

L’essentiel de l’activité des syndicats enseignants consiste à essayer de faciliter les mutations de leurs membres. Chaque centrale a ainsi une « clientèle » assez vaste mais fort peu de militants. Au moment des mutations les syndicats ressemblent plus aux Trois Suisses ou à la Redoute qu’à des structures de lutte. C’est à celui qui informera ses « clients » le plus vite et avant le ministère. Pour la F.S.U. c’est 24 heures chrono, la lettre part le soir même, À cette période 100 % des effectifs du syndicats se consacrent à cette tâche, qui se révèle être la principale raison d’être du syndicat. Nombreux sont les profs qui se sont syndiqués à un moment charnière de leur carrière pour obtenir le poste souhaité et n’ont pas repris leur carte une fois celui-ci obtenu. De même, beaucoup d’adhérents seraient bien en peine d’expliquer les positions de leurs syndicats au-delà du sempiternel « plus de moyens ». L’Éducation nationale a une tendance très forte à fonctionner comme un vase clos et les syndicats participent à cet isolement en coupant les profs du reste du salariat. Il est ainsi pratiquement impossible de mettre en grève les enseignants sur des problèmes sociaux qui concernent tous les travailleurs.

Trois jours de grève contre le plan Juppé en 1995 représentent un maximum. Dans l’Éducation nationale on pratique rituellement la grève d’une journée (deux ou trois fois l’an) et « à la carte », véritable fourre-tout de revendications où chacun peut composer son menu en fonction de ses problèmes ponctuels. Bien entendu l’efficacité de telles actions est dérisoire comme l’on montré les deux grèves superbement ratées du début de l’année scolaire. Mais finalement ces échecs ne posent pas de gros problèmes aux syndicats puisque la majorité de leurs membres n’ont pas adhéré pour se battre autour de revendications collectives mais pour consommer du service aux enseignants.

Revendications sociales ?

Les profs sont-ils capables de se mobiliser autour de véritables revendications sociales ? C’est peu probable. Le simple fait d’avoir un ministre socialiste paralyse complètement leur capacité d’action même quand les raisons de se battre ne manquent pas. On ronchonne, on se plaint, on s’aigrit à l’abri de la ligne Maginot de la fonction publique… mais pas d’action.

Pendant ce temps les conditions de travail des personnels les plus récemment recrutés se dégradent à grande vitesse. Pourtant le discours de la F.S.U. est souvent revendicatif et virulent, sur le modèle de celui de la C.G.T. En théorie, la F.S.U est un acteur du mouvement social. Par exemple, elle soutient les mouvements de chômeurs. En pratique elle peut réunir au plus quelques dizaines de militants pour cela. C’est ce grand écart constant entre les discours et les pratiques quotidiennes, dans un monde clos et qui se croit assez protégé pour se masquer la réalité, qui est inquiétant. Dans l’état actuel des choses, il n’y a donc rien à attendre des profs. La contestation sociale ne viendra pas de là.

F.G. - groupe Sabaté (Rennes)