Italie : 250 000 sans-papiers régularisés en 1999

Le nouveau gouvernement italien a revu sa copie sur le contrôle des flux migratoires : de 38 000 régularisations initialement prévues, le chiffre s’est multiplié par plus de six, aboutissant à accorder un permis de séjour à environ 250 000 sans-papiers sur les 308 233 demandes introduites. Un tel chiffre et une telle proportion de dossiers acceptés apparaissent comme un geste inouï, comparé à la politique française qui a délivré 80 000 titres de séjour sur les 143 000 demandes de régularisation. Que s’est-il passé ? Est-ce que le nouveau gouvernement italien de centre-gauche, dirigé par un ex-communiste, a tout à coup décidé de rompre avec la politique de fermeture imposée par les accords de Schengen et ouvrir grand ses frontières par solidarité avec les populations pauvres ? Pas du tout. Cet acte répond à une évaluation de " bon sens " qui prend en compte les intérêts économiques du patronat italien, le maintien de la paix sociale et un message aux potentiels électeurs que l’actuel gouvernement socio-catho-démocrate est capable de gestes humanitaires et caritatifs.

Les intérêts économiques

L’Italie est un pays où le taux de natalité est particulièrement bas, ceci conduit à court et long terme à une diminution de la population " indigène " en âge de travailler : le contrôle des flux migratoires est donc régulé, non pas par un principe de solidarité, mais par les intérêts du marché et du patronat. Ce dernier a souligné par la voix du numéro deux de la " Confindustria ", équivalent italien du MEDEF français, que les immigrés doivent être considérés comme des " énergies qui renouvellent la société et le marché ". En conclusion, le chiffre de 250 000 nouveaux permis de séjours correspond à la capacité des entreprises d’exploiter légalement cette main-d'œuvre. Par ailleurs, une enquête récente réalisée par l’institut de recherche CENSIS montre qu’environ 87 % des sans-papiers qui ont demandé leur régularisation travaillent actuellement en Italie. Leur régularisation et l’obtention d’un contrat de travail en règle aboutiraient donc à une entrée dans les caisses de l'État d’environ 2 000 milliards de lires (6,8 milliards de francs).

Maintien de la paix socialeet message à l'électorat

Les traitements humiliants et inhumains que subissent les immigrés clandestins en Italie, qu’ils soient réfugiés en fuite ou à la recherche d’un gagne-pain, la multiplication des camps de rétention ont conduit un mélange hétéroclite d’associations, d’individus et de membres de partis politiques à protester contre la politique gouvernementale. La régularisation massive annoncée par le gouvernement devrait calmer les ardeurs de beaucoup de ceux qui pourront se dire qu’en comparaison à d’autres pays de l’Euroland, la France par exemple, le gouvernement italien n’est pas si mal que ça. En ce qui concerne les déboutés, un geste de justice et d'humanité toute relative est prévue : le sans-papiers peut faire appel, mais celui-ci n’interrompt pas la procédure d’expulsion. Rapatrié dans son pays d’origine (Algérie, Iraq…) il pourra " tranquillement " suivre de chez lui l’action de la justice.

L’opposition de droite, elle, s’est insurgée contre le décret, traitant d’irresponsable le gouvernement et annonçant le risque d’un appel d’air qui conduirait à un afflux massif d'étrangers sur le territoire italien.

En réalité, au-delà de la façade populiste et raciste de l’opposition, celle-ci n’a pas vraiment de quoi se plaindre de la politique gouvernementale. L'" amnistie " pour les 250 000 sans-papiers qui répondent aux critères (fournir la preuve d'être arrivé en Italie avant le 27 mars 1998, d’avoir un travail, un logement et un casier judiciaire vierge) est accompagnée d’une volonté d’efficacité au niveau des contrôles de frontière, des expulsions (54 000 en 1998) et de lutte contre les clandestins. Et, histoire de garder une marge de manœuvre, la ministre de l’intérieur, Rosa Russo Jervolino, a déclaré qu’un suivi attentif des conséquences du décret-loi va être effectué pour vérifier si tout se passe bien (mais pour qui ?).

En conclusion, peut-on continuer à affirmer, comme je l’avais fait dans l’article paru dans le Monde Libertaire n° 1150, rien de neuf sous le soleil ? La forme change, certes, mais le fond, lui, ne change pas, ou juste un peu. Les 250 000 nouveaux régularisés ne sont plus sous la coupe d’une arrestation et d’une expulsion immédiate, mais pour combien de temps ? Leur permis de séjour n’est pas à durée indéterminée, et son renouvellement implique une volonté manifeste d'" intégration ", de " citoyenneté "… en somme : " travaillez et restez sages, sinon… dehors ! ". Et les aléas du marché et de la consommation ? Si le patronat est aujourd'hui en mesure d’exploiter 250 000 étrangers en règle, qui sait ce qui peut se passer demain. En cas de licenciements on a peu de doute de qui seront les premières victimes. Et sans travail… pas de renouvellement de permis de séjour.

Le seul espoir est qu’une prise de conscience de la part de tous les exploités : italiens, immigrés en règle, immigrés clandestins, qu’ils sont dans la même galère et que l’ennemi est commun puisse aboutir à une solidarité et à un mouvement contestataire large en mesure de rompre avec le système en place. Et c’est dans ce sens, que les anarchistes organisés doivent mener leurs actions.

Nicola - groupe La sociale (Montpellier)