Exigeons la sécurité sociale unique pour tous

Six cent mille personnes, l'équivalent de la population d’une ville comme Bordeaux, ne bénéficient pas de la couverture maladie de la sécurité sociale. Bien que les dépenses de santé augmentent de plus de 5 % par an, la tuberculose refait surface et Médecins du Monde gère à Paris, comme dans les pays les moins avancés, des dispensaires pour les exclus des soins. Bref le système prend l’eau de toute part et il est grand temps que nous exigions qu’il change avant que les requins des assurances privées ne le mettent en pièce avec la bénédiction de l'État et du patronat. Il faut pour cela arrêter de se demander uniquement comment financer toujours plus de soins, ce qui conduit à un faux débat entre les libéraux qui veulent réduire les coûts et ceux qui nous expliquent depuis 1995 qu’il suffit de trouver des recettes pour que tout aille pour le mieux dans la meilleure des sécu possible. Quel projet collectif d’accès de tous aux soins et à la prévention avons nous ? Quels sont nos objectifs de santé publique ? Voilà les vraies questions auxquelles nous devons répondre.

Santé publique,service public

La santé c’est le service public par excellence, qui concerne tout le monde, de la naissance à la mort, et à tout instant. La santé dépasse la maladie et les soins ; elle n’est pas l’apanage des médecins, ni même des autres acteurs de santé. Information, prévention, suivi psychologique, associations de malades, font partie de la santé au même titre que la trithérapie contre le sida, les scanners ou le Prozac. La santé coûte cher mais ne doit évidemment pas être réservée aux plus riches car elle relève de l’intérêt général. Il ne s’agit pas uniquement d’une collection de problèmes individuels mais d’un véritable outil de démocratie sociale et d’un élément fondamental de l’aménagement du territoire. L’avenir du système de sécurité sociale est donc un enjeu considérable dans la lutte pour une démocratie effective et contre la domination du patronat et des logiques de rentabilité. En effet, profitant de la faillite de la sécu, les requins de la finance tentent de faire accepter l’idée d’un système à deux vitesses. D’un côté, il y aurait un " service universel de santé ", proposé par la Commission européenne de Bruxelles qui le définit comme " un service de base, offert aux meilleures conditions de prix, de qualité et de sécurité pour tous ". De l’autre, un service privé d’assurance pour ceux qui peuvent payer. Le tout serait chapeauté par une instance de régulation indépendante (sur le modèle du CSA pour la télévision). Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une nouvelle version de la charité avec une santé au rabais pour les plus pauvres, qui serait à la santé ce que le RMI est au travail. Il ne faut pas se laisser abuser par les mots : ce " service universel " n’a rien à voir avec la sécurité sociale universelle. Pour autant il ne faut pas avoir peur des mots et, de peur de confusion, renoncer à une sécurité sociale unique et pour tous. Si dès que l’adversaire s’empare par ruse de notre vocabulaire, nous cessons de défendre nos idées, nous sommes perdant d’avance.

Patient ou client ?

Il faut mettre fin à la médecine marchande. Au minimum, ce n’est pas à nous de la défendre, même de manière détournée et involontaire comme ce fut le cas dans la lutte contre le plan Juppé de 1995. La sécurité sociale actuelle, c’est le règne de la médecine du fric, des labos pharmaceutiques richissimes et des mandarins qui s’en mettent plein les poches. La santé n’a pas de prix ; certes, mais elle a un coût pour la collectivité qui ne peut pas continuer à être la vache à lait des clercs qui nous soignent.Le patient n’est pas un client propriétaire de son corps qu’il irait faire réparer chez un technicien des organes comme il emmène son automobile en panne chez le garagiste.Il n’a pas non plus droit à consommer du médicament à sa guise comme de la limonade. C’est un acteur du système de santé qu’il doit contrôler de bout en bout. Le patient doit se poser en partenaire du médecin et en gestionnaire effectif des caisses de remboursement. Or actuellement il n’y a aucun contrôle possible. Pas de contrôle du temps passé avec le patient (cinquante consultations de 5 minutes chacune et la sécu rembourse sans broncher), pas d’obligation de formation continue pour les médecins. Il existe tout un arsenal juridique pour contrôler l’exercice illégal de la médecine mais rien, absolument rien, pour éviter le charlatanisme des médecins qui sous couvert de diplômes pratiquent les médecines molles, douces ou piquantes… pour le plus grand bonheur des laboratoires pharmaceutiques et de leur compte en banque. Quant aux caisses de sécurité sociale qui fonctionnent selon un système paritaire, avec des représentants élus des syndicats et du patronat, il suffit de rappeler qu’elles ont réussi l’exploit de procéder à ces élections une fois en trente ans pour imaginer comment cela fonctionne véritablement. Si l’imagination vous manque, vous pouvez penser à la destination des dizaines de millions de francs que versent les caisses, tous les ans, aux syndicats, pour frais de formation. Le gâteau est copieux mais la pilule difficile à avaler pour les assurés.

Mutualiser la sécu

Les solutions existent et ne sont pas si difficiles que cela à mettre en œuvre rapidement dans la plupart des cas. D’abord et c’est la priorité, le simple fait d'être en France, quels que soient sa situation professionnelle, son âge ou sa nationalité doit donner accès à l’ensemble du système de santé. La sécurité sociale doit être universelle.Ensuite il faut gommer tous les aspects marchands du système. Le patient doit se choisir un médecin généraliste (pour une durée de six moins minimum par exemple) et ne pas avoir à donner d’argent quand il va le voir. Les médicaments ne sont pas des marchandises comme les autres ce qui implique qu’ils soient vendus au prix de revient. Il est aussi normal que les pharmaciens et les médecins doivent avoir le monopole de leur distribution. Mais en contrepartie ils doivent avoir l’obligation de ne pas vendre ces autres produits (crèmes de beauté, poudres de perlimpinpin en tout genre) qui font des pharmacies de véritables épiceries de luxe. De la même façon la distribution de médicaments ne doit pas donner lieu à des échanges d’argent. Alors qui paye ? il me semble qu’un système unique de caisse de sécurité sociale, payant directement médecins et pharmaciens, géré selon un principe mutualiste avec une participation effective des usagers, est nécessaire. L’unité de base doit être à échelle humaine, le quartier par exemple, et rassembler régulièrement les assurés et les soignants autour d’un projet local de santé publique, de prévention, d’information. Nous devons combattre l’idée que la santé soit un marché et travailler à un système alternatif sérieux, éloigné autant du profit capitaliste que des pseudo-alternatives baba cool et New-age. À l’occasion des prochains élans de mouvement de défense de la sécu, il serait bon que nous ayons réfléchi collectivement à des propositions moins indigentes qu’en 1995, moins révérencieuses vis-à-vis des intérêts particuliers des syndicats, et pour tout dire plus libertaires.

F.G. - groupe Sabaté (Rennes)