Grande-Bretagne

Luxe illustre, illustre lustre

Réforme de la chambre des LordsQue sait-on de l’aristocratie britannique hormis ce qu’on en lit dans la presse people à la saison du rut ? Pas grand chose. On a coutume de dire que la monarchie n’est plus que symbolique et que ses fonctions d’état sont de pure forme ; que l’inauguration des chrysanthèmes et les bisous au peuple, du bout des gants, occupent la souveraine et sa famille à plein temps contre un salaire… royal.

Qui, dans le grand public, y compris britannique, sait que siègent au parlement le mari et deux des fils de la reine Élisabeth, hein, qui ?

Le parlement britannique est composé de deux chambres. L’une dite basse, les Communes, est renouvelée entièrement au moins tous les cinq ans par un processus un peu contraignant et aléatoire que l’on appelle élections. La seconde chambre, dite haute, les Lords, n’est jamais renouvelée et la plupart de ses membres se renouvellent par un processus beaucoup moins contraignant et pas du tout aléatoire qui s’appelle héritage. Ce processus nécessitant un peu plus de patience, il est vrai.

Il y a plusieurs sortes de lords. Ceux qui héritent de père en fils un titre de Duc, Marquis, Comte, Vicomte ou Baron. Ainsi, simplement parce qu’un jour bénit de 1264 un vague roi dont on a perdu le nom a récompensé on ne sait plus pourquoi, un aïeul dont on a égaré le portrait, vous voilà investi du pouvoir de décider si les êtres humains moins bien nés que vous pourront divorcer, se faire avorter, travailler plus de 48 heures par semaines, si les sodomites seront châtrés ou bien brûlés, les assassins pendus, les sorcières noyées, les chômeurs indemnisés, etc.

Sont également lords, celles et ceux qui ont fini leur temps de ministres, chefs de parti, leaders syndicaux ou, plus prosaïquement, copains de fac du premier ministre et qui sont eux nommés à vie. Leur titre s’éteint à leur mort.Sont aussi lords, les trois archevêques et les 21 plus anciens évêques de l’Église anglicane, parce qu’il faut bien un peu d’eau bénite au moulin à parole parlementaire, quand même.

Il y a aussi une douzaine de lords qui sont les juges suprêmes du royaume et qui servent de cour d’appel voire de cassation. Et comme ce sont des gens très très importants et bien élevés, c’est à eux qu’il revient de décider si Pinochet doit mourir en Espagne ou vieillir chez lui.

Personne ne sait combien il y a de lords. Comme ils ne sont pas payés (manquerait plus que ça), il n’y a pas de traces comptables de leur existence. Certains, trop touchés par l’Alzheimer ne savent même plus qu’ils sont si importants et si bien élevés. D’autres ne prennent même pas la peine à la mort du père, de réclamer leur titre, les ingrats.Les lords héréditaires sont en tout cas plus de 700, dont 100 voient leur titre remonter à avant le Guerre Civile (1642). Les lords non héréditaires sont nommés par le premier ministre. Il en nomme quand il veut, autant qu’il veut. Comme les lords héréditaires sont en très grande partie de droite, le gouvernement travailliste anoblit à tours de bras, à tel point que la cérémonie d’investiture a dû être raccourcie sensiblement.

La réforme en cours vise à supprimer purement et simplement tous les sièges des lords héréditaires. A l’aube du XXIe siècle, le parlement d’une des cinq puissances mondiale est à cette heure en train de débattre de l’opportunité ou non d’ôter à l’aristocratie tout pouvoir politique. Décidément, cette gauche au pouvoir est épatante. Bien sûr, si on me demandait mon avis, j’en profiterais pour suggérer qu’on les mette au travail (voir article ci-contre) et qu’on redistribue leurs biens et leurs terres ; mais c’est une autre histoire.

Mais ne nous y trompons pas, l’enjeu n’est pas de se débarrasser d’un folklore suranné, les robes d’hermine sont en lapin peint depuis bien longtemps et les perruques de laine poudrées de gris ne se portent que les jours de fête.Les raisons de la réforme sont multiples. Il convient d’abord de s’assurer que le parlement tout entier soit à la botte du gouvernement. En effet, le Royaume Uni ne connaît pas la séparation des pouvoirs, ainsi, le gouvernement siège à la chambre des communes (ce qui est très pratique pour les motions de censure). Une chambre haute moins marquée à droite, et surtout débarrassée de ses membres qui ne doivent rien à personne de vivant est beaucoup moins gênante.Mais surtout, en " modernisant " une institution un rien ringarde où les gens descendent les escalier à reculons pour ne pas tourner le dos à la reine, Tony Blair montre au peuple assoiffé de justice sociale que la gauche au pouvoir sait tenir tête aux puissants et aux nantis au nom du petit peuple laborieux et qu’il y a bien une différence de principes politiques entre la droite et elle. Ce qui n’est pas vraiment visible sur bien d’autres sujets comme les retraites, le chômage, l’université payante, les maisons de correction, les droits des locataires, le travail des enfants, l’accès aux soins pour tous, ou le droit des consommateurs de savoir ce qu’ils mangent.

C’est un paradoxe auquel il convient de réfléchir ; l’illégitimité des politiciens héréditaires ne rend pas nécessairement légitimes des politiciens élus qui paraissent l’être plus.

Vincent