Cinéma

Berlin (2)

La réalité dépasse la fiction. Alors que la jeune réalisatrice turque Yesim Ustaoglu présente son premier film en compétition " Voyage vers le soleil " (Günese Volculuk), la communauté turque de Berlin exulte, et les Kurdes manifestent, car Öcalan a été ramené de force en Turquie. Tout ceci se passe un mardi gras, journée de " Karnaval ". Le Carnaval de Thomas Vincent se passe à Dunkerque. Il a tourné dans la foule, pendant la grande fête au milieu de plus de 5 000 personnes. Toute l’équipe était déguisée. Tout le monde a joué le jeu, dit le réalisateur. Film subtil, où l’arabe n’est pas lynché, où le choc des cultures est montré, le jeu de séduction retenu.

Réussite de ce cinéma jeune. Pour preuve : Mifune de Soren Kragh-Jacobsen (3e film d’après Dogma… Les Idiots, Festen). Le film comprend l’orgasme le plus bruyant et le plus hurlé de l’histoire du cinéma (la performance de l’actrice a été applaudie…) des scènes très droles et très attachantes. À côté de ce brio et de cette légèreté, le film de Tavernier Ça commence aujourd’hui donne beaucoup à digérer. L’école, l’instit, les drames de l’enfance et la morale des mineurs. Ça se passe dans le Nord. Il fait froid. La chronique des chiens écrasés se rallonge à chaque plan. Trop, c’est trop. Un humoriste allemand disait : " Quand on sent l’intention, on en est fâché ! " Eh oui, on est fâché de tant d’insistance.

Heureusement que le provocateur Cronenberg nous tire de là avec ces jouets cyberespace complètement dégoulinants et dégoûtants. Le voyage, le cyberespace vaut-il le déplacement ? L’histoire dans l’histoire de l’histoire qui est racontée rend la réponse difficile. À expérimenter, sûrement ; à regarder, certainement ; à essayer, à vous de voir. Existenz de David Cronenberg joue la peur du trou noir et l’angoisse du cordon… coupé. Sautons dans l’inconnu. Et pourquoi pas.Les Gendernauts de Monika Treut font tout le contraire. Au lieu de décoller avec leurs atouts, ils en recollent ceux qu’ils n’ont pas : ainsi une, un " trans " gendernaute possède vagin, ancien, pénis, nouveau, greffé et essaie de s’accommoder des deux. Ça ne rigole pas et le groupe n’existe qu’ensemble, ne décolle qu’ensemble… sectarisme, dogmatisme garantis, vieux gourou, dominant tout. Heureusement que la réalisatrice et sa cadreuse Elfi Mikesh créent un peu de distance et d’ironie dans la mise en scène. Bref, si vous n’êtes pas un peu hermaphrodite, vous ratez tout.

Bonne nouvelle le jeune cinéma turc est allemand : Thomas Arslan fabrique avec Dealer une surprise de taille. Un film construit en couleurs, cadrages et plans ciselés. Espérons que ces œuvres, y compris les films marocains au Forum, les films arabes et africains projetés à la maison " der Kulturen des Welt " (des cultures du monde) contribuent à défendre ce qui semble manquer plus que jamais : acceptation du droit à la différence et à une meilleure connaissance des peuples pour que soit impossible qu’un jeune Algérien soit frappé à mort par de jeunes néo-nazis, fait divers de la semaine dernière.

Heike Hurst -  émission Fondu au Noir (Radio libertaire)