Pas une nuit sans quune voiture ne soit incendiée, par une semaine sans quun bus ne soit attaqué. Depuis 1981, les débordements de fureur se multiplient ; hier confinés aux banlieues des grandes métropoles, ils ont aujourdhui gagné les quartiers des villes moyennes. Le matraquage médiatique quotidien nous livre les faits sans aucune explication. Pourquoi ces incendies de voitures, bien souvent celles des habitants des cités ? Pourquoi ces attaques de bus, un service public qui permet aux plus démunis de se déplacer ? Pourquoi ce déchaînement de violence sans raison apparente et qui envoie parfois à lhôpital des chauffeurs de bus et des pompiers ? Le moindre incident devient affaire dÉtat. Les médias bourgeois, dordinaire si friands de sociologie de comptoir, se bornent à parler des " violences urbaines " et de " lincivilité " des jeunes. Cette absence dexplication a un but bien précis : ôter tout sens et toute légitimité à ces accès de colère et désigner à la vindicte populaire la jeunesse des cités.
En dépit de tout ce qui est dit, ces gestes ont une signification sociale forte. La presse patronale omet sciemment de parler des politiques tarifaires prohibitives que mènent partout les entreprises de transport en commun et les municipalités. Ces politiques entraînent le développement de la fraude et face à celle-ci cest le déferlement des campagnes anti-fraude, rafles sur les lignes " chaudes ", fermeture partielle de ces lignes, humiliations répétées lors des contrôles, expulsions hors des véhicules, présence policière constante. Il sagit bien là dune violence de classe que cette barbarie organisée qui réserve les bus à ceux qui ont du fric. Le prolétariat, appauvri chaque jour par la spéculation capitaliste, perd le droit élémentaire de se déplacer librement. La jeunesse des banlieues se trouve parquée à lécart du centre ville, dans des quartiers qui tournent au ghetto et si elle brûle des voitures cest pour rappeler quelle existe encore.
Quoi quen disent les bien pensants, il ny a pas plus de violence urbaine que de violence sociale. Il ny a quune violence de classe et ce nest pas la jeunesse des banlieues qui en est lorigine. Cest elle au contraire qui endure chaque jour et y répond parfois par la colère. Il sagit là de révoltes brutes mais compréhensibles qui répondent à des agressions caractérisées. Daucuns disent que ces révoltes sont légitimes mais sans avenir. Sans doute. Entre le suicide de la résignation et la révolte explosive, la jeunesse démontre du moins quelle nentend pas se laisser faire. Ces révoltes sociales nont rien à voir avec des " actes gratuits " : elles révèlent la dureté de la lutte des classes. Il reste, il est vrai, à transformer lénergie dégagée par cette confrontation sociale en véritable élan révolutionnaire. Les modalités prises par la colère des jeunes prolétaires, notamment les brutalités envers les chauffeurs de bus, des salariés, sont loin dêtre satisfaisantes au plan de lefficacité révolutionnaire, de léthique libertaire et du projet anarchiste.
Malgré tout, lexigence de justice sociale quelles contiennent constitue le socle sur lequel sest bâti et développé notre mouvement. Que lon ne compte pas sur nous pour condamner ou pour clamer ces jeunes.Nous ne jouerons ni le jeu de la paix sociale, qui impose lexploitation tranquille des prolétaires par les bourgeois, ni celui de la logique corporatiste des pompiers et des chauffeurs de bus contre les jeunes et vice versa. Sur le fond, nous partageons la révolte de ces jeunes prolétaires. La révolution sociale et libertaire ne se fera pas sans eux, ni contre eux ni malgré eux, mais bien avec et pour eux. Loin de nous lidée de leur donner une leçon de politique et de morale, ou encore de les inciter à continuer leur rébellion sous la forme actuelle qui les mène malheureusement en taule. Ces jeunes apprennent au jour le jour que le combat ne peut-être que frontal, classe contre classe, et quil sera parfois violent, pas obligatoirement de notre fait. Ils doivent néanmoins comprendre que les raisons de leur révolte rejoignent celles des millions de prolétaires qui subissent eux aussi lexploitation capitaliste et étatique. La victoire, leur victoire, notre victoire est dans lunité des exploités face aux exploiteurs. La division est la pire de nos ennemies et cela le pouvoir la parfaitement compris.