La réduction du temps de travail à EDF-GDF

ou comment s’adapter à l’ouverture du marché de l’électricité

Dès le 19 février 1999, la transposition a permis aux gros consommateurs dit éligibles de se fournir en électricité auprès de producteurs de leur choix : des compagnies privées, françaises ou européennes, ou bien des courtiers. Ces derniers ne faisant que le commerce de l’électricité.

Il ne s’agit donc pas d’une privatisation d’EDF. Celle-ci occasionnerait trop de charges pour les acquéreurs : retraites du personnel, gros investissement dans le nucléaire et rachats plus ou moins risqués de compagnies d’électricité étrangères. Sans compter les éventuels conflits sociaux qui pourraient en découler. Grâce à cette loi, le gouvernement permet aux grosses entreprises concurrentes d’EDF d’entier sur le marché de l’électricité en privatisant les futurs moyens de production d’électricité.

L’arrangement trouvé a toutes les raisons de satisfaire des entreprises qui piaffent devant la porte du gouvernement.L’évolution du système mis en place par la loi sera la création d’un marché boursier de type Spot où l’électricité sera cotée en fonction de l’offre et de la demande et entraînera l’apparition d’une spéculation puisque des contrats à termes seront possibles. Ce qui veut dire qu’un courtier pourra acheter une quantité d’électricité à l’instant t à un prix donné et la revendre trois mois plus tard à profit ou à perte. Pour exemple, la variation de la valeur de l’électricité en Australie, où existe un tel marché, a été de 1 à 1000 sur un an.

La direction d’EDF, qui en 1996 s’est opposée à la Directive européenne, a bien vite intégré cette perspective concurrentielle et a même anticipé sa m ise en place. Aujourd’hui, sa stratégie est d’utiliser les profits qu’elle tire de son activité nationale (vente d’électricité d’origine nucléaire) pour financer ses projets internationaux (rachats de compagnies étrangères publiques ou privées, investissements financiers). En 1998, EDF a déjà cumulé un investissement de 30 milliards de francs en Amérique latine, en Asie et en Europe.

Dérégulation et baisse des activités d’EDF en France

La baisse de consommation d’électricité, déjà amorcée en 1997 et qu’EDF impute trop facilement aux douceurs de la météo alors qu’il s’agit en partie de son prix prohibitif, devrait se poursuivre avec l’arrivée des nouveaux producteurs privés.Comme on l’a vu plus haut, cette perspective de baisse d’activité sur le sol français a déjà été intégrée dans la stratégie de développement d’EDF.La loi sur la réduction du temps de travail (RTT) vient à point nommé pour adapter les ressources de l’entreprise à cette nouvelle donne : flexibilité, baisse de la masse salariale. Tout le monde a entendu parler de l’accord modèle signé à EDF avec une CGT triomphante en quête de crédibilité et un gouvernement qui cherchait à redorer le bilan catastrophique de la loi Aubry, en matière de création d’emploi.

Des embauches ?

Dans le cadre de l’accord sur la réduction du temps de travail, la direction d’EDF annonce 18 000 à 20 000 embauches contre 12 000 à 15 000 départs en retraite. Le solde d’embauches pourrait être égal à zéro :1/parce qu’elle lie ces embauches à une augmentation de " l’activité de l’entreprise, inenvisageable dans le contexte de l’ouverture du marche de l’électricité".2/Car l’accord prévoit 9 % de gains de productivité supplémentaires, dont on sait qu’ils équivalent à 9 % de diminution d’emploi.

La RTT contente tout le monde : la direction d’EDF, qui règle ses problèmes structurels ; la CFDT (voir la direction).La CGT qui ne luttera pas contre. Elle a conclu un PACS avec la CFDT, protège ses permanents payés par EDF et prépare son avenir européen au sein de la Confédération Européenne des Syndicats, On voit la coïncidence frappante entre la nouvelle ligne affichée par la CGT dans la signature de cet accord et l’élection de Thibaud qui avait déjà affiché la couleur dans les médias : " La CGT peut et doit signer des accords professionnels ". Il s’agit bien d’un nouveau tournant historique pour la CGT dans le changement de ses références syndicales et l’abandon définitif de la lutte de classe.Le gouvernement qui continue sa politique de privatisation en arguant de l’exemplarité de l’accord dans des termes sociaux. Les agents EDF-GDF qui voient d’un bon œil l’apparente préservation de leur statut.

Ce consensus va-t-il durer ? Le doute est encore de mise puisque le prochain dossier à traiter concerne le transfert des retraites (régime particulier) au régime général. Le passage à 32 heures aura permis de diminuer le montant des retraites. On entend dire que seuls les embauchés depuis janvier 1997 (date du premier accord) seraient touchés par ce passage au régime général. Ceci aurait pour conséquence de désolidariser davantage les travailleurs d’EDF.Les syndicats auront fort à faire pour justifier le bilan prévisible de l’accord. Et en théorie de la signature syndicale, " tremplin vers d’autres luttes " va vite démontrer son inefficacité. Nous espérons que cette étape sera propice à une recomposition syndicale.

Effets externes de la dérégulation

La loi de transposition propose d’appliquer le statut de salariés d’EDF aux salariés de tous ses concurrents mais prévoit aussi l’évolution du statut au travers des accords professionnels. Ce qui équivaut à le vider de sa substance. Les patrons des entreprises concurrentes font la gueule, non pas sur le principe d’application du statut à tous, mais parce que son effacement risque d’être trop long.

La gauche a bien joué, elle voulait se débarrasser d’un archaïsme encombrant sans faire de vagues, c’est réussi et ce ne sont pas les patrons qui vont l’empêcher d’aller jusqu’au bout. On peut alors penser que les conditions de travail comme les rémunérations des travailleurs du secteur seront très rapidement nivelées à la baisse par le biais d’une concurrence par les prix. Les travailleurs d’EDF qui ont peu réagi à la RTT, qui réagiront sûrement peu face au changement des régimes de retraites auront fort à faire pour enrayer la dégradation de leur situation.

Dans leur immense majorité, les consommateurs restent captifs, mais la péréquation tarifaire qui légitimait un peu le service public d’EDF devient " péréquation régionale ". Le prix de la consommation sera-t-il différencié selon les régions comme l’est celui de l’eau ? C’est une hypothèse qu’il faut envisager sérieusement. La baisse des prix annoncée par EDF peut n’être qu’apparente à l’image des tarifs d’abonnement de France Télécom qui augmentent un an après sa privatisation. Qui en pâtira ?

Les chômeurs et les pauvres en premier lieu. Il faut citer le cas de l’Angleterre où certaines privatisations ont entraîné des augmentations de 30 % des tarifs de l’électricité.Mais les chômeurs et les pauvres sont évidemment loin des préoccupations des responsables politiques et économiques. Les seuls clients qui intéressent EDF et les autres entreprises sont les gros consommateurs. EDF vient d’embaucher 300 emplois-jeunes non statutaires en tant que médiateurs sociaux, sous-traitants censés améliorer le " dialogue " entre l’entreprise et les abonnés en difficulté.

Elle a participé en 1993, à hauteur de 75 millions de francs, au Fonds pauvreté-précarité géré par les préfets de chaque département et à destination des services sociaux et de quelques associations humanitaires. Pour rappel, le bénéfice d’EDF pour 1997 est de 4,1 milliards de francs. En 1998, EDF a envoyé 13 millions de lettres de relance vers ses " clients indélicats " à l’issue desquelles 90 % des paiements ont été effectués. Elle a aussi procédé à 500 000 coupures.On le voit, c’est cyniquement et sans trop de mal qu’EDF fait semblant d’avoir une politique sociale vers les plus pauvres. Bientôt l’entreprise dira que ce n’est pas son rôle parce qu’elle est elle-même en concurrence. Dès lors, il sera utile de conseiller aux pauvres de cesser d’utiliser tout appareillage d’assistance respiratoire en période de relève. À moins qu’ils continuent à s’organiser…

CNT-Énergie