Les zones d’ombre du recensement

Recenser : passer en revue, évaluer. C’est une des actions fortes que l’État mène auprès de l’ensemble de la population résidant sur le sol français. Cette « opération de service qui concerne chaque habitant […] donne des indications chiffrées précises sur la population et les logements, au niveau de la commune, du département, de la région, du pays.

Ainsi ces statistiques peuvent être utilisées par certains intervenants sociaux ou municipalités pour justifier et développer de nouveaux services à la population.

Même dans une société libertaire, faire le point de façon régulière sur la situation de vie de nos contemporains ne semble pas être un crime de lèse-majesté.

Et pourtant, des questions viennent spontanément à l’esprit…

Dans la « notice explicative » il est précisé que les « réponses sont confidentielles et uniquement destinées à l’INSEE, seul habilité à les traiter, de façon anonyme, sans les noms ni les adresses ». Soit. Alors pourquoi est-il nécessaire d’indiquer par deux fois (feuille de logement et bulletin individuel) les nom, prénom et adresse et aussi (une fois) la date de naissance. Des données sur l’âge ou l’année de naissance, le sexe et la ville de résidence ne suffisent-elles pas pour élaborer des statistiques ? De même, pourquoi faut-il décliner les noms, prénom et lien de parenté, voir même date de naissance des occupants permanents et/ou des personnes faisant partie du foyer mais vivant à l’extérieur de celui-ci (enfants en internat, militaires…)… mais chut…

Quelle est l’utilité pour les statisticiens de connaître l’adresse du lieu de travail et du siège social de l’établissement au lieu de se satisfaire de la ville. Est-ce pour justifier une surcharge de travail ? Se rappelle-t-on qu’en 1995 « des chercheurs de l’Institut national des études démographiques (INED) avaient fait savoir qu’ils considéraient que leurs travaux étaient entravés par les pouvoirs de la CNIL » (Monde libertaire n° 1064) ?

Quelles sera l’utilisation de toutes ces informations techniques et personnelles ? Le fichage de chaque résident français ?

Depuis peu, la loi Brard (apparenté PC) autorise le croisement des fichiers sociaux et fiscaux (et bientôt, pourquoi pas, la sécu ?). Informations vendues aux entreprises officiellement par les services de l’État ?… mais chut…

Biais idéologique

Connaîtrons-nous enfin le vrai nombre de chômeurs puisque seront recensés tous les chômeurs, inscrits ou non à l’ANPE ? Nous constatons aussi la pauvreté de certaines questions comme la caricature des états matrimoniaux « légaux » n’autorisant de vivre qu’au travers des statuts stéréotypés définis par la « loi » : célibataire, marié(e), veuf(ve) ou divorcé(e). Le couple non marié, volontairement ou non, n’apparaît pas faute de statut légal pour les homosexuels, la vie en communauté… mais chut…

Ces interrogations, si elles portent sur le fond du recensement, ne doivent pas occulter la forme…

Ainsi, les agents recenseurs sont recrutés par les mairies à qui « la CNIL (commission nationale informatique et liberté) interdit toute saisie d’informations mêmes anonymes […] et interdit de prendre copie des questionnaires. Sur le ton de la galéjade, nous pourrions répondre : de toutes les façons, elles n’en ont pas besoin. Dans les petits villages, les maires connaissent tout le monde et les autorités de l’État (gendarmerie, impôts…) s’adressent à eux pour tous renseignements. Lorsque les communes sont plus grandes, elles détiennent parfois des fichiers particuliers. Vous vous rappelez des deux fichiers (fichiers « Français » et fichier « étrangers ») de la commune de Saint-Gilles à l’époque du maire F.N… Mais chut…

Ce recensement aurait pu être l’occasion d’évaluer les besoins non satisfaits dans les domaines du social, de la culture, des méthodes de santé, de gestion écologique des déchets, de l’énergie, de la production agricole… Ah, mais là, l’État recenserait des besoins bien identifiés et des mécontentements face à l’incurie des élus plus préoccuper à s’absoudre de leurs « coupable irresponsabilités » et par la « lutte des places » que par la « lutte des classes »… mais chut…

Mais pouvons-nous nous taire face à tant de non-dit, de questions dévoyées et idéologiquement orientées ? Quelles réponses individuelles et collectives pouvons-nous apporter à cette « enquête générale et obligatoire [pour laquelle] tout défaut de réponse ou une réponse sciemment inexacte peut entraîner l’application d’une amende administrative ». Si nous ne pouvons appeler publiquement à l’abstention révolutionnaire anarchiste, nous pouvons appeler publiquement à l’abstention révolutionnaire anarchiste, nous pouvons attirer l’attention de nos proches sur ces zones d’ombres afin que chacun agisse en conscience… mais chut…

Patrick - groupe du Gard