Avortement-Droit au choix

Une militante « Prochoix » infiltre « Laissez-les-vivre »

Caroline Fourest, rédactrice en chef de Prochoix s’est fait engager comme bénévole au sein de la première association anti-IVG française, à sa permanence d’accueil : SOS futures mères. Sous prétexte d’accueillir des futures mères en détresse, cette vitrine de Laissez-les-vivre (LLV) essaie en réalité de convaincre ces jeunes femmes démunies, souvent étrangères et parfois sans papiers, de ne pas avorter. Elles les orientent vers des foyers d’accueil charismatiques et sectaires, avec la complicité d’assistantes sociales. Après la lecture de son récit (qui se lit comme un polar) dans le dernier numéro de Prochoix, le Monde libertaire a voulu en savoir plus.

Points de repère sur Laissez-les-vivre :
Outre sa permanence d’accueil destinée aux futures mères, LLV a co-organisé un commando avec SOS Tout-petits et l’Alliance chrétienne à l’hôpital de Tournon en décembre 1990. En général, LLV préfère aux commandos, son activité favorite de fourmi. L’association possède une petite librairie et envoie régulièrement à une partie de la classe politique des tracts et documents de propagande provie. De nombreuses personnalités intégristes et F.N. font partie du comité de soutien. Après la démission du professeur Lejeune, l’association a adopté encore plus officiellement une démarche frontiste. Son président fait entre autre partie du Cercle national des femmes d’Europe, le groupe féminin du F.N.

M.L. : Comment t’est venue l’idée d’infiltrer une association anti-avortement ?

Caroline Fourest : La tentation m’est venue, après la lecture d’une petite annonce parue dons le journal de « Laissez les vivre ». L’association recherchait des bénévoles. L’occasion était trop belle : j’ai eu envie d’aller voir ce qu’il s’y passait à l’intérieur.

J’ai appelé LLV. Je me suis présentée comme une personne attachée au respect de la « vie », une bénévole, voulant aider l’association. Les candidats ne devaient pas se bousculer, puisque j’ai été acceptée avec enthousiasme !

M.L. : Comment t’es-tu présentée pour l’entretien ?

C.F. : Comme il n’était évidemment pas question de me présenter en T-shirt et pantalon large, j’ai ressorti du placard, ce que j’avais de plus austère.

Je suis tombée sur une vieille robe que ma mère m’avait achetée et que je n’avais jamais voulu porter. J’ai changé de coiffure : barrette. J’ai opté pour un maquillage fade, léger, catholique. Le plus dur a été de travailler ma démarche en « canard, plutôt décontracté », pour la transformer en démarche plus soumise, « grenouille de bénitier ».

M.L. : Mais, psychologiquement, comment as-tu pu tenir le coup, au quotidien ?

C.F. : Je me suis efforcée de me mettre dans la peau d’une actrice, tous les matins j’entrais en scène. Je m’efforçais d’oublier qui j’étais et faisais taire mes convictions. J’observais mes interlocuteurs et me contentais d’enregistrer un maximum d’informations. L’avantage d’interpréter une militante catholique traditionnelle, c’est que le personnage ne requiert que peu d’animation ! L’effacement semble être la vertu des militantes catholiques. Plus j’étais insipide et effacée, plus je correspondais aux critères de la féminité vertueuse qu’on attendait de moi. C’est un milieu dans lequel on préfère qu’une femme parle de la pluie et du beau temps plutôt qu’elle ouvre sa grande gueule et laisse échapper son avis ou des opinions trop affirmées, ce qui en l’occurrence, m’arrangeait ! »

M.L. : Par rapport à l’idée que tu te faisais de LLV, as-tu eu de mauvaises ou de bonnes surprises ?

C.F. : J’ai surtout eu la très désagréable surprise de réaliser à quel point, certaines associations comme LLV travaillent en connivence avec des travailleurs sociaux. Ce qui fait le plus réfléchir, ce sont les dégâts engendrés par ce type de complicité. On parle beaucoup des commandos anti-IVG mais on oublie souvent qu’il existe des réseaux de « captation des femmes enceintes » plus ou moins en difficulté. C’est autrement plus redoutable. J’ai par exemple rencontré une jeune femme sans-papiers que son assistante sociale avait sciemment orientée vers SOS future mère (la vitrine de LLV, afin qu’elle oublie sa demande à la préfecture, pour aller accoucher loin de Paris. Dans un foyer d’accueil charismatique, encadré religieusement et franchement sectaire. Par la suite, j’ai appris que cette assistante sociale avait été responsable d’une association du mouvement « provie » et que cette pratique n’était pas isolée.

M.L. : Que veux-tu dire ?

C.F. : Il faut se faire à l’idée qu’il existe des travailleurs sociaux anti-IVG qui profitent de leur statut et de leurs postes stratégiques pour mettre en pratique leurs convictions, par exemple, lors d’un entretien pro-IVG. On imagine les ravages que cela peut faire sur une personne qui a le malheur de croiser ce type d’individus…

M.L. : Justement, qu’as-tu appris sur les liens entre le (s) F.N. et les associations comme LLV ?

C.F. : Il est évident que de par leur idéologie anti-choix, un groupe anti-avortement est non seulement d’extrême droite, mais il est fondamentalement lié à l’extrême droite. Il la représente au même titre que le fait un militant du F.N.

Pour ce qui est du lien entre les deux structures, nous savions déjà par exemple, que le président de « Laissez les vivre » était membre du comité d’honneur du CNFE (Cercle national des femmes d’Europe) de formation F.N. et qu’inversement, plusieurs de ses membres faisaient partie du comité de soutien de LLV.

Mon enquête n’a fait que confirmer leur collaboration. La plupart des militants que j’y ai croisé prenaient pour fait acquis que nous étions du même bord politique. Le F.N. revenait, naturellement, dans beaucoup de nos conversations…

Parfois, leur propos était tellement caricatural qu’il me fallait lutter contre l’envie de rire et celle de pleurer… de rage !

Propos recueillis par Patrick Schindler - groupe CLAAAAAASH (Paris)

Dans le numéro 9 de la revue Prochoix, février 99, Caroline Fourest raconte tous les détails de son infiltration à LLV.

Fiammetta Venner (fondatrice de la revue) et Caroline Fourest seront à la librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot (Paris 11e) le 17 avril 1999 à 16 h 30 pour parler du droit de choisir.