Caroline Fourest, rédactrice en chef de Prochoix sest fait engager comme bénévole au sein de la première association anti-IVG française, à sa permanence daccueil : SOS futures mères. Sous prétexte daccueillir des futures mères en détresse, cette vitrine de Laissez-les-vivre (LLV) essaie en réalité de convaincre ces jeunes femmes démunies, souvent étrangères et parfois sans papiers, de ne pas avorter. Elles les orientent vers des foyers daccueil charismatiques et sectaires, avec la complicité dassistantes sociales. Après la lecture de son récit (qui se lit comme un polar) dans le dernier numéro de Prochoix, le Monde libertaire a voulu en savoir plus.
M.L. : Comment test venue lidée dinfiltrer une association anti-avortement ?
Caroline Fourest : La tentation mest venue, après la lecture dune petite annonce parue dons le journal de « Laissez les vivre ». Lassociation recherchait des bénévoles. Loccasion était trop belle : jai eu envie daller voir ce quil sy passait à lintérieur.
Jai appelé LLV. Je me suis présentée comme une personne attachée au respect de la « vie », une bénévole, voulant aider lassociation. Les candidats ne devaient pas se bousculer, puisque jai été acceptée avec enthousiasme !
M.L. : Comment tes-tu présentée pour lentretien ?
C.F. : Comme il nétait évidemment pas question de me présenter en T-shirt et pantalon large, jai ressorti du placard, ce que javais de plus austère.
Je suis tombée sur une vieille robe que ma mère mavait achetée et que je navais jamais voulu porter. Jai changé de coiffure : barrette. Jai opté pour un maquillage fade, léger, catholique. Le plus dur a été de travailler ma démarche en « canard, plutôt décontracté », pour la transformer en démarche plus soumise, « grenouille de bénitier ».
M.L. : Mais, psychologiquement, comment as-tu pu tenir le coup, au quotidien ?
C.F. : Je me suis efforcée de me mettre dans la peau dune actrice, tous les matins jentrais en scène. Je mefforçais doublier qui jétais et faisais taire mes convictions. Jobservais mes interlocuteurs et me contentais denregistrer un maximum dinformations. Lavantage dinterpréter une militante catholique traditionnelle, cest que le personnage ne requiert que peu danimation ! Leffacement semble être la vertu des militantes catholiques. Plus jétais insipide et effacée, plus je correspondais aux critères de la féminité vertueuse quon attendait de moi. Cest un milieu dans lequel on préfère quune femme parle de la pluie et du beau temps plutôt quelle ouvre sa grande gueule et laisse échapper son avis ou des opinions trop affirmées, ce qui en loccurrence, marrangeait ! »
M.L. : Par rapport à lidée que tu te faisais de LLV, as-tu eu de mauvaises ou de bonnes surprises ?
C.F. : Jai surtout eu la très désagréable surprise de réaliser à quel point, certaines associations comme LLV travaillent en connivence avec des travailleurs sociaux. Ce qui fait le plus réfléchir, ce sont les dégâts engendrés par ce type de complicité. On parle beaucoup des commandos anti-IVG mais on oublie souvent quil existe des réseaux de « captation des femmes enceintes » plus ou moins en difficulté. Cest autrement plus redoutable. Jai par exemple rencontré une jeune femme sans-papiers que son assistante sociale avait sciemment orientée vers SOS future mère (la vitrine de LLV, afin quelle oublie sa demande à la préfecture, pour aller accoucher loin de Paris. Dans un foyer daccueil charismatique, encadré religieusement et franchement sectaire. Par la suite, jai appris que cette assistante sociale avait été responsable dune association du mouvement « provie » et que cette pratique nétait pas isolée.
M.L. : Que veux-tu dire ?
C.F. : Il faut se faire à lidée quil existe des travailleurs sociaux anti-IVG qui profitent de leur statut et de leurs postes stratégiques pour mettre en pratique leurs convictions, par exemple, lors dun entretien pro-IVG. On imagine les ravages que cela peut faire sur une personne qui a le malheur de croiser ce type dindividus
M.L. : Justement, quas-tu appris sur les liens entre le (s) F.N. et les associations comme LLV ?
C.F. : Il est évident que de par leur idéologie anti-choix, un groupe anti-avortement est non seulement dextrême droite, mais il est fondamentalement lié à lextrême droite. Il la représente au même titre que le fait un militant du F.N.
Pour ce qui est du lien entre les deux structures, nous savions déjà par exemple, que le président de « Laissez les vivre » était membre du comité dhonneur du CNFE (Cercle national des femmes dEurope) de formation F.N. et quinversement, plusieurs de ses membres faisaient partie du comité de soutien de LLV.
Mon enquête na fait que confirmer leur collaboration. La plupart des militants que jy ai croisé prenaient pour fait acquis que nous étions du même bord politique. Le F.N. revenait, naturellement, dans beaucoup de nos conversations
Parfois, leur propos était tellement caricatural quil me fallait lutter contre lenvie de rire et celle de pleurer de rage !
Dans le numéro 9 de la revue Prochoix, février 99, Caroline Fourest raconte tous les détails de son infiltration à LLV.
Fiammetta Venner (fondatrice de la revue) et Caroline Fourest seront à la librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot (Paris 11e) le 17 avril 1999 à 16 h 30 pour parler du droit de choisir.