La gauche libérale brade l’école
aux patrons
La mise au pas de l’éducation
Au niveau de l’université, le plan
U3M assure l’entrée en force des entreprises. Le rapport Attali
est très clair : « Les entreprises devront être incitées
à financer des bourses, des bibliothèques, des laboratoires,
voire des cycles de formation, initiale ou continue, dans des écoles
et des universités… » Le patronat n’investira pas dans l’université
sans des compensations. Et comme le recherche l’ensemble du patronat européen,
c’est une autonomie des structures avec comme objectif une mise en concurrence
entre ces dernières qui va être obtenue. Le rapport Attali
préconise que la France soit divisée en 8 régions
dans lesquelles pourront émerger quelques ensembles d’excellence
« On évaluera le système d’enseignement supérieur
tous les cinq ans et chaque rapport aura des conséquences financières
automatiques et immédiates. » Bien évidemment on vise
aussi une remise en cause des diplômes : « il faut envisager
la fin de la validité permanente des diplômes avec une réactualisation
obligatoire tous les dix ans. » Dans le plan U3M qui découle
directement du rapport Attali, il s’agit de s’engager dans une réforme
visant à moyen terme une privatisation des universités,
et la création effective d’universités pour riches.
Les attaques du capitalisme avec l’aide
et la complicité de la gauche plurielle ne s’arrêtent pas
là, et vise l’ensemble des secteurs de l’éducation nationale.
Au niveau de l’enseignement professionnel les PME-PMI sont totalement intégrées
et les stagiaires en alternance prennent concrètement la place d’un(e)
salarié(e). Mais on souhaite aller plus loin en généralisant
et en organisant ce fonctionnement : le rapport Marois stipule que «
la période et les modalités des stages devraient être
organisées par branches professionnelles. »
Après s’être attaqué
aux services publics les plus rentables (télécommunications…),
le patronat s’implante et colonise tranquillement et sûrement l’ensemble
du système éducatif européen. Le plus inquiétant,
c’est la faiblesse des réactions. Alors que la FEN, sans surprise,
maintient des liens privilégiés avec le Parti Socialiste
(la FEN écrit même les plates-formes pédagogiques du
PS !) la FSU temporise devant une situation pourtant urgente. La grève
annoncée lors de la dernière rentrée de 1998 est à
ce titre éloquente. Le SNES (syndicat majoritaire de l’enseignement
supérieur de la FSU) soutient très (et trop) modérément
la luttes des auxiliaires et des collèges et lycées du 93.
Dans un premier temps il décidait d’appeler à une grève
le 10 septembre dernier. Alors que les enseignant(e)s les plus mobilisé(e)s
bataillaient pour la réussite d’une telle journée, la direction
du SNES était reçue par Allègre. Et il suffit de vagues
promesses, de propositions de quelques postes dans des conseils nationaux
pour que le SNES annule la grève à la dernière minute.
Et pourtant ce n’est pas au travers de la cogestion et de la recherche
d’une reconnaissance ministérielle que l’on arrivera à contrecarrer
les plans d’un patronat organisé qui avance de manière très
ordonnée et très réfléchie.
Et la justice s’en mêle
Alors que la lutte contre une logique libérale
implacable s’avère urgente et difficile, au niveau pédagogique
une pénalisation à outrance est un phénomène
relativement récent. Certes il y a toujours eu de la répression
contre des pratiques ou des secteurs trop combatifs. L’éditorial
du Monde Libertaire du 3 juin dernier rappelait le cas d’Andrée
Pinon qui a été frappée d’une mesure de suppression
à vie de ses responsabilités pour avoir appris et fait chanter
par ses élèves la chanson de Boris Vian « le déserteur
» lors de la cérémonie commémorative du 8 mai
1945. Dans l’arsenal répressif mis en place par les ministères,
on peut bien évidemment compter sur l’inspection académique
dont le rôle est bien de modeler, de conformer (grâce à
la notation…) des comportements et des pratiques éducatives. Mais
maintenant le pénal s’est déplacé jusqu’au plus petits
actes de la vie quotidienne. Jusque là « protégés
» par leur statut de fonctionnaires (un parent par exemple ne pouvait
s’attaquer judiciairement à tel membre du personnel : l’État
faisait bouclier et éventuellement se retournait dans un deuxième
temps contre le fonctionnaire s’il y avait faute professionnelle) les enseignant(e)s
se trouvent aujourd’hui devant des responsabilités ubuesques. Le
conducteur du car est-il bien sobre ? Il y a une déviation lors
du trajet de la piscine, doit on avertir nos supérieurs pour changements
d’itinéraires ? … Attention il ne s’agit pas pour nous d’encenser
d’anciennes pratiques où l’école reste refermée sur
elle-même et où le linge sale se lave en famille… On a trop
vu, avec les affaires de pédophilie, à quel point l’État
et le corporatisme pouvaient faire passer les intérêts de
l’enfant bien après ceux de l’institution scolaire… Mais ce que
l’on nous propose aujourd’hui, c’est bien une école libérale
où les enfants ne seraient plus que des « clients »…
Après quelques années de retard par rapport aux dérives
judiciaires des Etats-Unis, ce sont les pratiques pédagogiques qui
sont visées et avec une sévérité toute nouvelle.
Les exemples sont multiples. Dans telle commune une directrice d’une école
est reconnue coupable de « blessure involontaire par manquement aux
obligations de sécurité » suite à l’accident
d’un enfant dans une cour de récréation, dans une autre commune
le directeur et l’instituteur sont reconnus coupables suite à un
accident avec un car communal sur un passage à niveau…
Logique de sanction
Logique d’une société où
la réparation ne peut intervenir que sur le mode de la sanction.
Face à cette dérive qui culpabilise un certains nombre de
travailleurs et travailleuses sociaux ou qui sert de prétextes à
nombre de démissions pédagogiques, les « services »
publics (ministère, inspection…) sans surprises sont complices d’une
telle politique. En effet, chaque fois que tombe une sanction pénale
particulièrement injustifiée et que les médias relèvent,
on entend les commentaires compréhensifs de Ségolène
Royal : « Cette sanction est particulièrement sévère
» ou « Il ne faut pas oublier les difficiles conditions de
travail des enseignants… » Discours lénifiant, visant à
faire croire qu’enseignant(e)s et ministre de l’État lutteraient
du même côté de la barrière, et que de l’autre
côté, la justice fonctionnerait en solo…Le couple Allègre-Royal
fonctionne comme les duos policiers trop connus : l’un cogne en utilisant
la démagogie la plus crasse, l’autre temporise et anesthésie
tout en confirmant de fait la légitimité des sanctions personnelles
lors d’accidents tout à fait imprévisibles. La sanction qui
menace en permanence un(e) fonctionnaire, un(e) salarié(e) est un
outil de contrôle inespéré. La position des différents
services ministériels va souvent dans le même sens : «
Certes ce que vous faites n’est pas interdit mais nous vous déconseillons
de le faire. En cas d’accidents, nous vous aurons prévenus…Et la
justice fera son boulot… » Le ministère de l’éducation
national en profite pour aller plus loin et sous prétexte de protéger
« ses » fonctionnaires face à la justice renforce encore
un peu plus le pouvoir de la direction qui se transforme nettement de collègue
en direction de personnel et bientôt de patrons : aujourd’hui un(e)
instituteur(trice) pour sortir de l’école avec sa classe doit en
faire la demande par écrit à la direction. Ces règles
vont certainement finir par provoquer les comportements souhaités
avec une relation hiérarchique au sein même de l’école
en lien direct avec le ministère et les inspection. Alors que le
risque zéro n’existe pas, on entretient l’angoisse de l’accident.
Celle-ci arrange le pouvoir car elle mobilise la réflexion de nombre
d’enseignements sur ces problème pénaux alors que parallèlement
c’est l’ensemble de l’école que l’on transforme en la livrant au
privé. Cette psychose prend parfois des proportions difficilement
imaginables : tel inspecteur académique vient d’interdire que les
enfants mangent les gâteaux de leurs parents affirmant que l’on ne
pouvait pas maîtriser la provenance de la nourriture. Au niveau syndical,
en dehors d’un appel au boycott des sorties scolaires en 1997, les réactions
ont été timides et trop souvent confuses.
Pour un service public d’éducation
autogéré
Entre les dérives pénales (qui
figent trop souvent toute recherche pédagogique, et renforcent les
pouvoirs et les hiérarchies locales) et le patronat qui réussit
son pari en entrant dans le milieu de l’école, notre marge de manœuvre
est faible. Nous ne pouvons agir seuls. À nous, avec nos moyens,
d’agir avec les secteurs les plus radicaux (Ecole Emancipée, CNT,
certains mouvements pédagogiques…) afin d’essayer de créer
des conditions suffisantes pour résister. A nous de renforcer les
liens entre différents secteurs de luttes radicales sans concession
avec la logique patronale. Nos axes de luttes sont clairs :
• lutte contre les remises en cause du
statut de la fonction publique et contre le renforcement du pouvoir des
hiérarchies locales (inspection, rectorat, directions écoles…)
• soutien de toutes les pratiques pédagogiques
tendant à défendre l’autonomie de l’enfant et
son épanouissement personnel
• refus de la privatisation de l’enseignement
et du partenariat école-entreprise
• refus d’une logique pénale tendant
à nier toute initiative éducative
Ces quatre axes de luttes tendent à
résister contre une mise au pas de l’école et des enseignant(e)s
en lutte. C’est dans cette résistance collective que nos revendications
pour un service public autogéré fuseront au-delà de
nos sphères militantes. C’est dans cette résistance que l’éducation
libertaire s’épanouira.
Régis Balry. groupe de Nantes
Nombre de citations sont tirées
de deux ouvrages : « L’école sacrifiée » de Nico
Hirtt ; « tableau noir. Résister à la privatisation
de l’enseignement » de Gérard de Sélys et Nico Hirtt.