Le 18 août débute une grève dans les 13e et 14e arrondissements de Marseille, opposant les 32 salariés de la société Bronzo (ramassage des déchets), à leur employeur. Les revendications intersyndicales (FO, CFDT, CGT) sont alors simples et portent sur les conditions de travail : augmentation des effectifs et du matériel. Cette société, dont l’actionnaire unique est la Société des Eaux de Marseille (50 % Lyonnaise des Eaux, 50 % Vivendi) va temporiser 13 jours jusqu’à finalement accepter les demandes des grévistes. A l’origine de ce conflit, il y a un marché passé entre la ville de Marseille et des sociétés privées auxquelles elle « cède » un tiers du ramassage des ordures. Le nouveau cahier des charges qui fut défini par la ville permit aux deux parties de réaliser des profits substantiels, alors que les salariés voyaient les cadences et temps de travail ­ effectif ­ s’emballer (les tournées de ramassage qui débutaient à 5 h pour finir à 12 h 30 finissent alors à 15 h).
Ce conflit long met en lumière l’attentisme coutumier de la municipalité, qui après s’être laissée bercer par les échos en provenance de quartiers sans doute trop lointains (nord de la ville), est allée jusqu’à demander l’intervention d’une armée providentielle ! Le discours officiel, à ce point du conflit, est rythmé par un échange de fond de cours entre monsieur Gaudin (maire à étiquette UDF) et les maires d’arrondissements (majorité plurielle), qui se rejettent les responsabilités de ce conflit. L’éternel refrain anti-mairie trouve ici un écho des plus fameux, tant il est vrai que les actions « politiques » de la municipalité sont en décalage avec les nécessités des habitants.

L’ultralibéralisme
des élus locaux
Le 27 août, au 9e jour du conflit, la grève s’étend à l’ensemble des services de ramassage des déchets, public comme privés. La population manifeste alors son mécontentement en mettant le feu aux ordures (jusqu’à 70 départs de feu par jour) ou en les épandant sur la chaussée.
Le 31 août, la mairie craignant les risques épidémiologiques tout en jouant la carte de la dramatisation charge 12 personnes de nettoyer le quartier de Noailles (centre-ville) après un rapport inquiétant de la DDASS. L’accord est signé le soir même.
Ce conflit soulève plusieurs questions, principalement celle du désengagement de l’Etat et des collectivités territoriales de la vie locale, du moins de ses impératifs quotidiens. Le ramassage des déchets, qui est un service public directement financé par nos impôts, est sujet à spéculation et prise d’intérêts de la part des « autorités » politiques. La conséquence visible et instantanée de ce capitalisme d’État est la dégradation des conditions de vie des employés : aujourd’hui ceux de la société ­ privée ­ Bronzo, naguère ceux des membres des services de santé… Toutefois, les velléités ultra-libérales de nos élus locaux trouvent leur point d’arrêt dans le réalisme d’une telle action : même en déplaçant les contraintes sur des employés du secteur privé, les nécessités économiques ne font pas toujours loi. Sur le plan professionnel, ceux qui effectuent le service public, dans le cadre d’un travail régit par la règle du marché, se retrouvent soumis à deux pressions antagonistes : d’une part l’exigence du service public, qui doit assurer la qualité de la vie collective ; d’autre part l’engrenage marchand qui soumet le travailleur à la « nouvelle précarité » (rendement au détriment des conventions collectives, des conditions de sécurité, et même de la loi, comme le disait un protagoniste du conflit).
Quant aux usagers, il est évident que la qualité des prestations se dégrade sous l’action de cette volonté libérale. Il s’en suit une « nouvelle précarité » du quotidien : il devient urgent de réinventer ce fameux service public, dont l’inexorable rabotage fait disparaître l’illusion d’un minimum vital qui nous serait garanti par l’institution.
Certains ne pourraient voir dans de telles luttes qu’un épiphénomène social. Elles comptent pourtant parmi les signes les plus visibles de la démission lentement négociée de l’État au profit de l’économie.
Groupe Marius Jacob.
(Marseille)