Paysans et agrocrates
Vers une recomposition du syndicalisme agricole
?
Il est fort courant de nommer les travailleurs
de la terre : les paysans (avec un certain dédain ou une mystique
néo-rurale), les agriculteurs (sur un ton neutre) ou les exploitants
agricoles (comme la majorité d’entre eux aiment s’appeler pour se
différencier du « paysan » vu par les urbains). Ces
dénominations globalisantes cachent pourtant de grosses différences
entre les zones de production (plaine, défavorisée, montagne…),
la nature des productions (viandes, lait, céréales, produits
maraîchers, viticulture…), la maîtrise ou non de la filière
de production, de transformation et de commercialisation, la surface de
production et… l’appartenance syndicale.
Le monde agricole est suffisamment complexe
pour que tout et n’importe quoi soit raconté, notamment par les
garants de l’impartialité de l’information publique ou privée.
Ainsi, ces derniers temps, étaient allégrement amalgamées
les actions menées par la Confédération paysanne en
soutien à José Bové - symbole du combat contre les
sanctions de l’OMC à l’encontre de l’Europe et les actes des
maraîchers et des arboriculteurs des libéraux de la FNSEA
et du CNJA contre l’espace de libre-échange européen.
Une activité agricole très encadrée
L’activité agricole est une des professions
les plus encadrées : syndicats, organismes professionnels de filière,
chambre d’agriculture, ministère d’État, commissions parlementaires,
centres de formation d’apprentis et d’adultes, collèges, lycées,
politique régionale et départementale agricole, organismes
de développement rural et agricole… Nous verrons les principales
structures représentatives et leurs influences.
Les organisations paritaires agricoles
(OPA) comprennent la fédération nationale des syndicats d’exploitants
agricoles (FNSEA), le centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), l’assemblée
permanente des chambres d’agriculture (APCA) et la caisse nationale de
la mutualité, de la coopération et du crédit agricole
(en résumé, le Crédit Agricole). Il se trouve que
ces 3 dernières organisations sont sous la tutelle des caciques
de la FNSEA tout comme l’ANDA (association nationale pour le développement
agricole) qui - en toute illégalité (les associations n’ont
pas le droit de reverser l’argent public sous forme de subventions à
d’autres organisations)- cogère (6 représentants de l’État
et 6 représentants de la profession agricole en sympathie avec la
FNSEA) autour de 800 millions de francs pour le financement des syndicats
agricoles (80 millions de francs pour la FNSEA et le CNJA en 1997, soit
10 %), des chambres d’agriculture et des instituts techniques.
Toujours sur le plan national, les structures
professionnelles de filière de production, L’onilait, l’ONIC (céréales),
l’Ofival (viande) et l’oniflhor (fruits, légumes et horticulture)
restent des monopoles de la FDSEA , même si depuis la jeune loi de
1990 sur la représentativité syndicale (sic !) et l’opiniâtreté
des autres syndicats permettent dorénavant d’entendre d’autres voix,
même minoritaires. Par ailleurs, si les industriels et les financiers
ont eu des ministres issus de leurs sérails, il avait été
rarement vu qu’un représentant les plus en vue d’un lobby soit à
la tête d’un ministère, comme ce fut le cas pour la nomination
de François Guillaume en mars 1986 qui est passé du fauteuil
de président de la FNSEA à celui de ministre de l’agriculture.
L’hégémonie libérale
de la FNSEA
Au niveau local, la sur-représentation
des adhérents de la FNSEA - directement ou indirectement au travers
des autres structures professionnelles (Crédit Agricole, Groupama,
Chambre d’agriculture, Mutualité Sociale Agricole, fonds d’assurances
formation des exploitants agricoles (FAFEA)…)- est criante : commission
départementale d’orientation agricole (CDOA) gérant les droits
à produire et les aides pour l’installation des jeunes, SAFER permettant
d’accéder au foncier et la très puissante ADASEA (association
départementale pour l’aménagement des structures des exploitations
agricoles) aidant l’installation des jeunes et finançant partiellement
les études prévisionnelles d’installation (EPI), les plan
d’amélioration du matériel (PAM), les opérations groupées
d’aménagement foncier (OGAF) dont le centre national (CNASEA) gère
bizarrement les sommes astronomiques des « bénéficiaires
» des contrats emploi solidarité et des contrats emploi consolidé
(remboursement d’une proportion des salaires et prise en charge des formations).
Globalement, le couple FNSEA-CNJA a un
discours et des actes en contradiction : au message « nous voulons
l’installation de jeunes agriculteurs », les faits montrent l’agrandissement
croissant des grosses exploitations, une opposition au plafonnement des
subventions et la disparition des plus petites ; à l’intention de
productions de qualité se développe une agro-industrie contrôlée
par la finance (Crédit agricole notamment) mettant sur le marché
des poulets à la dioxine, des bovins fous, des OGM…
La Conf’: un syndicalisme revendicatif
Les autres syndicats agricoles :
• La confédération paysanne
(C.P.) est issue majoritairement de la confédération nationale
des syndicats de travailleurs paysans en 1987. Ce syndicat élargit
ses combats à des grands thèmes de société
: mouvements des chômeurs, sans papiers, essais nucléaires
dans le Pacifique, participation à ATTAC et est proche du regroupement
syndical du « groupe des 10 » (les SUD, SNJ, SNUI…). Ses principaux
combats dans le domaine de l’agriculture sont la lutte contre les OGM,
contre la mondialisation des marchés… et pour être représentés
dans les organismes professionnels (chambre d’agriculture, CDOA, oniflhor,
onivins…). La lutte menée symboliquement autour des « MAC’CRADO
» contre les rétorsions douanières des États-Unis
à l’encontre de l’Europe, dans le bras de fer de la viande aux hormones,
la mal-bouffe, les OGM et la mondialisation des marchés a permi
grâce à l’incarcération d’un de ses principaux leaders
fin août 99 de rendre publique l’existence et, dans une certaine
mesure, l’action de la Conf’. Le développement de la reconnaissance
de la C.P. va certainement voir sa représentation augmenter (elle
dépasse les 20 %) et une diminution des adhésions de complaisance
auprès des syndicats « majoritaires » (60 % au couple
FNSEA/CDJA) pour obtenir des prébendes.
• Le mouvement de défense des exploitants
familiaux (MODEF) est très minoritaire, voire confidentiel, et est
proche des communistes. Créé en 1975, il défend une
agriculture familiale et nationale.
• La coordination rurale est apparue en
1991 et « a pris la succession de la très droitiste Fédération
française de l’agriculture ». Elle dénonce les charges
sociales trop élevées et préconise le libre choix
des mutuelles et des assurances privées. Certaines mauvaises langues
osent dire que la Coordination rurale est à l’agriculture ce que
le CDCA est au commerce et à l’artisanat.
La lutte médiatique entre la Conf’
et la Fédération est à mettre dans la perspective
des prochaines élections à la mutualité sociale agricole.
Si les élus à la MSA ont peu de pouvoir, le scrutin permet
d’évaluer les forces en présence dans la perspective des
élections des représentants de la chambre d’agriculture l’année
prochaine. L’action nationale de la FNSEA le vendredi 10 septembre lors
de la conférence de Rambouillet était une tentative pour
récupérer la combativité « paysanne »
à son profit. Ce fut un échec. Même s’il y a des sections
locales de la confédération paysanne plus animées
par les luttes et l’affirmation de positions anticapitalistes que par la
course au pouvoir, il demeure que la stratégie d’implantation institutionnelle
de la Conf’et ses actions de lobbying lors de l’affaire Bové auprès
de la classe politique tranchent avec la radicalité de certaines
de ses revendications. À suivre donc.
Jacquou le mordant. UR Sud de la F.A.