Réforme du code de la famille

Guigou gère en bonne mère de famille !

L’approche de l’an 2000 stimulerait-elle les velléités de modernisation de la société ? Sans doute que oui au vu des réformes du droit qui ont lieu ici ou là de l’Afrique du Sud au Nunavut et de la Grande-Bretagne au Brésil en passant par l’Australie. Légalisation de la pilule au Japon, réformes constitutionnelles un peu partout, décriminalisation de l’homosexualité là, ou encore réforme du code de la famille ici.


En France, une réforme du code de la famille (fondé encore à l’heure actuelle sur le code Napoléon) est considérée comme nécessaire de façon unanime (ou presque) par la classe politique. Le gouvernement actuel semble bien déterminé à faire avancer les choses sur un certain nombre de questions. Une volonté loin d’être inepte au regard de la désuétude presque attendrissante des textes actuels. Le rapport remis le 14 septembre à la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, doit servir au gouvernement de base de travail pour une réforme à mettre en place dans l’année à venir. S’il est bien sûr impossible de savoir ce qui dans le rapport retiendra l’intérêt de nos dirigeants bien aimés ; il n’est toutefois pas inutile de se poser les habituelles questions : pourquoi maintenant, pourquoi faire et surtout, pour qui ?


Nous l’avions déjà vu à l’époque des grands débats (en suspend) sur le PACS, la classe dirigeante a une vision de la famille avant tout économique même si elle essaye tant bien que mal (et surtout mal) de la farder des habits élimés de la moralité. Élimés au point que, de retour à la base, Christine Boutin s’est fait huer par les jeunes UDF qui avaient sans doute dû essuyer les quolibets des autres jeunes qu’ils tentaient de convertir. La mutinerie fut telle que la quasi totalité des appareils de droite ont lâchement pris leurs distances d’avec leur copine d’hier. Comme quoi, Jospin n’avait pas tort à l’époque de la traiter de marginale devant un parlement hypocritement outré.
 

La famille reste le fondement de la propriété

L’élément principal et sans doute le plus novateur du projet, serait de donner une égalité de droit entre les enfants légitimes et les enfants naturels, y compris adultérins. Pour sympathique qu’elle soit, l’idée n’en est pas moins audacieuse et se trouve même à la limite du grand écart idéologique puisque la famille est toujours considérée comme le fondement de la société et que cette société est en régime capitaliste c’est-à-dire basée sur le bien, son accumulation et sa capitalisation, donc, sa transmission plutôt que son partage. Et la famille est justement le lien juridique de cette transmission. Le problème est que la société n’est pas le système, qu’il n’y a aucun lien « naturel » entre les rapports sociaux et l’idéologie économique. C’était vrai en Union soviétique, ça le reste en Chine tout comme ici. Les individus vivent et, même canalisés par la loi, finissent par faire comme ils le sentent. Ça prend parfois du temps, mais on finit par y arriver. La loi, elle, pour rester la référence, doit suivre et se mettre au goût du jour pour pouvoir être crédible. Sinon, le système tombe. En d’autres termes, ça s’appelle « lâcher du lest ».


Lâcher du lest ne veut surtout pas dire lâcher prise, bien au contraire. C’est pour garder l’emprise que la loi doit canaliser ce qui est (l’état de fait) quand elle ne parvient plus à le déterminer. C’est ce qui s’est passé avec la contraception, l’avortement, le divorce, le droit de grève, le droit d’association, l’éducation, les radios libres, l’Internet, etc.
 

Affirmation de l’identité individuelle !

Aujourd’hui, 40 % des enfants naissent de parents non-mariés. Ça n’est plus de l’ordre du phénomène de société. C’est son mode d’organisation naturel qui prend le dessus. Idem pour les divorces (ou même la séparation des couples non-mariés). Au XIXe siècle, les femmes mouraient en couche une fois sur trois et de toutes façons, les gens étaient très vieux à la cinquantaine. Dans ces conditions, il n’y a pas de mérite à ne pas divorcer (ce qui n’a bien sûr jamais empêché l’adultère). Par rapport à nos arrières grands parents, nous avons le temps d’avoir, en quelque sorte, plusieurs vies. À la poubelle, le poussiéreux code Napoléon.
Mais derrière le code Napoléon, comme derrière le code Guigou, il y a bel et bien une seule et unique volonté : préserver l’ordre économique des choses. La morale fut un outil en la matière, l’outil est émoussé, ils en changent. C’est du pragmatisme.
Le fond des choses reste le même. La loi doit pouvoir codifier la filiation si elle ne peut pas codifier le couple. C’est bel et bien la descendance qui est le ciment de la société bourgeoise/capitaliste. Derrière les sociétés dites anonymes, il y a des individus, des propriétaires qui accumulent et « créent » des richesses et c’est bien pour ces gens là, pour servir leurs intérêts immédiats et futurs que le droit change. Comme pour le PACS. Le divorce serait d’ailleurs de plus en plus allégé pour les couples sans descendance ni propriété ; ca veut tout dire…


Reste aussi qu’un certain nombre de changements se font dans les mentalités, dans la culture des individus (et des sociétés), une modification dans leur vision des choses, y compris d’eux-mêmes. Ainsi, la notion d’identité individuelle a pris le pas sur l’identité collective (nation, classe sociale) ; d’où peut-être ce besoin de savoir d’où l’on vient. Une forte demande se fait pressante de la part d’enfants adoptés de connaître leurs sources. Les désillusions, la déception et le sordide sont parfois au rendez-vous mais l’ignorance en la matière devenant source de névroses il est difficile de refuser à des gens en souffrance la délivrance qu’apporte le savoir. Pourtant, le droit des femmes violées, exploitées dans leur chair, à refuser, à oublier (mais est-ce possible ?) ou à nier, ne peut pas être relégué au titre de caprice irresponsable. L’intelligence voudrait qu’un système soit mis en place pour mettre en contact parents et enfants nés sous X dès lors que les deux parties en expriment la demande, à n’importe quel moment de leurs vies respectives. Reste à savoir si l’intelligence est au pouvoir…

Vincent Tixier