Québec : répression contre les
lycéens
Le Québec connaît un mouvement
sans précédent de protestation des écoles secondaires.
Après deux semaines de manifs spontanées dans de nombreuses
villes de la province, la répression policière s’est abattue
brutalement sur le mouvement : 288 arrestations pour la seule journée
du 23 septembre, à Montréal !
Tout le monde parle depuis un certain
temps de la perspective d’un « automne chaud » en prévision
d’une incontournable grève générale des fonctionnaires
de l’état. Comme on pouvait tous s’y attendre, les boss des principales
centrales syndicales (CSN, CEQ, FTQ) avancent à reculons, corrompus
qu’ils sont de par leurs liens incestueux historiques avec le Parti Québécois
au pouvoir et leur adhésion sans critique à l’économie
de marché capitaliste.
Dans ces conditions de capitulation et
de trahison sociale permanente des gros joueurs des syndicats, rien de
plus normal que le mouvement qui se soit le plus distingué dans
ce début d’« automne chaud » ne soit ni syndiqué
par le haut, ni organisé en structure bureaucratique, ou même
dans une quelconque structure de représentation que ce soit dans
le cas des écoles secondaires.
(Il existe quatre niveaux de scolarité
dans le système d’enseignement du Québec : le primaire, le
secondaire (les polyvalentes), le collégial (CÉGEP), et l’université.)
Si le mouvement est indissociable des moyens de pression des enseignant(-e)s,
il exprime néanmoins un ras-le-bol beaucoup plus profond.
Ce n’est pas d’hier qu’il y a crise dans
les écoles secondaires. Depuis plus de dix ans, les adolescent(-e)s
décrochent massivement, le taux d’abandon des études se situe
entre 30 et 40 % des élèves dans la région montréalaise.
Et ce, quand on ne choisit pas de décrocher de la vie tout court
: le suicide est la 2e cause de mortalité chez les jeunes au Québec,
triste champion des suicides chez les jeunes dans le monde développé
industriellement. Les jeunes sont aussi durement frappés par le
phénomène d’appauvrissement qui touche l’ensemble de la société.
Toujours à Montréal, 40 % des familles survivent sous le
seuil officiel de la pauvreté (65 % chez les monoparentales). Dans
les quartiers pauvres, les élèves victimes de malnutrition
sont légion.
Les manifs spontanées dans les
écoles secondaires n’ont rien de nouveau. Il y a deux ans, l’expulsion
d’une jeune de son école parce qu’elle s’était teinte les
cheveux en bleu avait provoqué des manifestations de solidarité
de ce genre. Ce qui est inhabituel depuis septembre, c’est l’ampleur du
mouvement, qui a rapidement fait tache d’huile. Initialement, c’est la
décision des profs de ne plus participer aux activités parascolaires
(comme le bal des finissant(-e)s) qui provoque les premiers débrayages
sauvages dans les écoles. Cependant, le mouvement n’est aucunement
coordonné au niveau revendicatif, faisant en sorte que certain(-e)s
élèves affirment prendre la rue pour appuyer leurs profs,
d’autres pour les dénoncer, s’estimant injustement pénalisé(-e)s
par leurs moyens de pression, d’autres encore diront : « On fait
la grève pour que nos profs ne la fassent pas ».
Au gouvernement, le ministre de l’Éducation,
François Legault, intervient dans les organes d’information pour
supplier les élèves de retourner en classe. Son ton est aussi
clairement menaçant puisqu’il martèle obstinément
que ces manifs sont « dangereuses ». Legault, de même
que la Fédération des Commissions Scolaires du Québec
et la Fédération des Comités de Parents, blâment
tous en chœur les profs, les accusant d’utiliser les jeunes pour leur propre
cause.
Mais en fait, au fur et à mesure
que se généralise le mouvement, il devient limpide que, non
seulement les ados prennent goût aux manifestations, mais qu’en plus
on s’y joint pour le simple plaisir de crier à tue-tête, et
celui de faire entendre, de sentir la force du nombre et, bien sûr,
pour fuir l’incontournable ennui que génère une salle de
classe.
Chronologie des plus récentes manifestations
16 septembre : dans la région de Québec,
des milliers de jeunes perturbent fortement la circulation automobile.
Trois jeunes reçoivent une contravention de 100 dollars pour «
désordre ». À Laval, des centaines d’écolier(-e)s
descendent dans la rue et vont visiter quelques écoles pour inciter
les élèves à les suivre. Un adolescent est arrêté
pour « méfait » (avoir lancé un casque de moto
dans la fenêtre d’une polyvalente).
17 septembre : malgré le temps
de chien, des centaines de jeunes participent à des manifestations
dans les villes deVerdun, Pointe-aux-Trembles, Boucherville, Boisbriand,
Sainte-Agathe, Sainte-Jovite et Beauport.
21 septembre : le pont Jacques-Cartier
qui relie Montréal à Longueuil est prit en sandwich par des
centaines d’élèves des ces deux villes, qui le bloquent à
tour de rôle à plusieurs reprises dans la journée.
L’escouade anti-émeute de la Sûreté
du Québec est déployée pour mettre fin à un
embouteillage monstre. Après avoir été refoulé,
un groupe de jeune fait du vandalisme dans un centre commercial de Longueuil.
L’autoroute 20 a dû être fermée dans les deux sens pendant
près d’une heure. Les flics font trois arrestations.
22 septembre : une manifestation de centaines
d’élèves de trois polyvalentes montréalaises est gâchée
par l’intervention de la police anti-émeute. Après un long
face à face, les flics dispersent les jeunes, qui, en rebroussant
leur chemin, brisent des vitres de voitures, de commerces et de résidences
et lancent plusieurs projectiles aux hommes en uniformes. 36 jeunes sont
arrêtés (sur lesquels trois seront formellement accusés).
À Vaudreuil, deux écoles sont fermées après
un débrayage spontané. Près d’un millier de jeunes
tentent de bloquer le pont Taschereau et l’autoroute 20. À Sainte-Jovite,
des centaines de jeunes manifestent pour la 3e fois en une semaine.
23 septembre : dans l’Est de Montréal,
une foule de plus de mille élèves se rend à l’école
Chomedey de Maisonneuve pour encourager leurs camarades de la place à
prendre la rue avec eux et elles. La foule est pacifique, ce qui n’empêche
pas la police de déployer l’escouade anti-émeute, qui leur
ordonne de décoller de là. Au bout d’un certain temps, la
foule faiblit en nombre. En milieu d’après-midi, les flics encerclent
270 jeunes manifestant(-e)s, qui sont tous et toutes sans exception, mis(-es)
en état d’arrestation. Les jeunes, âgé(-e)s d’entre
12 et 15 ans, doivent monter dans les paniers à salade, qui les
conduisent dans les quartiers de détention de deux centres opérationnels.
La police de Montréal, nommément le SPCUM, touche un nouveau
fond dans la bassesse inhumaine de leur boulot de merde ! (Mais leur journée
est loin d’être finie !) Les parents, la plupart bouillant de colère,
doivent aller cueillir leurs enfants dans le lieu de leur captivité
et discutent d’intenter un recours collectif. Les jeunes âgé(-e)s
de plus 14 ans se font remettre une contravention de 118 $ chacun(e).
Toujours le 23 septembre : dans le centre-ville
montréalais, ce sont 400 étudiant(-e)s des CÉGEP qui
manifestent bruyamment à l’appel du Mouvement pour le Droit à
l’Éducation (MDE). Une centaine de protestataires pénètrent
à l’intérieur du hall de la Bourse et l’occupent en faisant
un petit saccage. Un agent de sécurité, qui essaie d’attraper
un manifestant ayant emporté un drapeau, est étroitement
entouré et se fait cracher dessus (un incident qui fait beaucoup
couler de salive). Les manifestant(-e)s bloquent une rue, allument un feu
et dansent autour au son de tam-tam… et de sirènes de flics. Les
policiers arrivent par centaines, ferment d’autres rues, contribuant à
leur façon à créer un bouchon de circulation dans
le quartier des affaires de la métropole. Au bout d’une opération
de trois quarts d’heure, la police anti-émeute commet 18 arrestations,
dont plusieurs assez brutales. Les flics décident de s’acharner
sur le sort de Valentina, une manifestante qu’ils ont déjà
arrêtée à deux autres reprises cette année et
que, cette fois-ci, ils sont bien décidés à ne pas
relâcher jusqu’à son procès elle est accusée
de bris de probation). Valentina passe toute la fin de semaine à
la prison pour femmes de Tanguay. Le sergent-détective Lemieux,
un crétin sans envergure affecté à plusieurs enquêtes
sur des militant(-e)s, veut convaincre le tribunal que son otage est une
meneuse. Quant aux autres manifestant(-e)s, l’un d’eux se voit libéré
sous la condition draconienne de ne pas fréquenter un quadrilataire,
qui englobe tout le centre-ville, ainsi que de s’abstenir de consommer
de l’alcool (!) et des drogues (!).
Encore le 23 septembre : à Sherbrooke,
près de 5 000 étudiant(-e)s prennent la rue. Les policiers
confient aux joueurs de l’équipe de football la tâche d’assurer
le service d’ordre. Dans la municipalité de Marieville, 500 élèves
se déplace le long de la route 112. D’autres débrayages d’élèves
se déroulent à LaSalle et Lachine. À Saint-Hubert,
la direction fait avorter une manif et, à Sainte-Thérèse,
300 élèves sont suspendu(-e)s pour avoir manifesté
la veille.
27 septembre : Valentina est remise en
liberté sous la condition de ne pas participer à des manifestations
non-paisibles et non-légales (comme vous aurez pu le remarquer,
les manifs « paisibles et légales » se font de plus
en plus rares à Montréal).
Bobov groupe Main noire (Montréal)