Réalisme à la chinoise

Le premier octobre 1999, la Chine, pays à l’histoire plusieurs fois millénaire, a fêté les cinquante ans de l’avènement du Parti communiste au pouvoir. Nous sommes là face à la dernière dynastie en place, une dynastie qui a voulu faire table rase du passé par la révolution culturelle. D’où la question que l’on peut se poser, cette nouvelle dynastie a-t-elle eu une incidence sur la littérature, si oui laquelle ?


Pour comprendre s’il y a eu des changements, encore faut-il savoir ce qui caractérisait cette littérature. L’auteur qui est le plus à même de nous en parler n’est autre que Victor Segalen qui, au début de ce siècle, dans Stèles, expliquait qu’elle était basée sur la poétique, sur l’utilisation de l’allégorie et non sur la description, sur le réalisme, sur la reproduction du réel. L’allégorie signifie : dire autre chose que ce qu’on veut dire. Les allusions, ellipses, les signes et symboles étaient au service de la littérature pour mieux exprimer l’indicible, suggérer l’ineffable.


Dans la littérature contemporaine, Shan Sa est celle qui me semble être la plus proche de cet héritage, ce qui tendrait à prouver qu’il n’est pas mort. Son dernier roman, Les quatre vies du saule, en est l’expression. Pour nous parler de l’histoire de cette Chine éternelle, de la révolution culturelle, elle utilise la voix du cœur, de l’amour, l’image du saule qui symbolise la mort et surtout la renaissance. Le lecteur est plongé dans un univers poétique, lyrique, un espace imaginaire, proche du conte, que la vision distingue au-delà des choses vues, pour nous ramener vers le chaos mouvant des objets d’ici-bas.


Mais la révolution culturelle a apporté des changements en ce sens que la littérature est beaucoup plus tournée vers le réalisme. Fang Fang en est l’illustration dans son dernier roman, Soleil du crépuscule. C’est de la Chine d’aujourd’hui dont elle nous parle, en nous décrivant les conditions de vie du commun des mortels citadin. Ce qui, à première vue, pourrait être un roman ethnologique est heureusement servi par une histoire à l’humour grinçant. L’intrigue est la suivante : une famille de sept membres vit à l’étroit dans un appartement de quelques mètres carrés et deux de ses membres se verraient bien à la place que laisserait vacante l’aïeule, s’il lui venait la bonne idée de mourir. Il s’ensuit une aventure rocambolesque dans laquelle Fang Fang analyse le comportement opportuniste de ses personnages, avec cynisme. J’espère que vous partagerez avec moi l’envie de découvrir ces deux auteurs que je vous recommande cette semaine.

Boris Beyssi (Le manège - Radio libertaire)

Les quatre vies du saule, Shan Sa. éditions Grasset.
Soleil du crépuscule, Fang Fang. éditions Stock.